Rémunération du droit à l'image, défiscalisation... la proposition de loi de l'UMP a mis fin à la grogne des clubs.
Le foot, droite au but
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Par Gilles DHERS
Que vaut le championnat de France de foot. Sportivement, cela varie selon le spéculateur ayant eu le dernier mot au Bar des Sports. Economiquement, il est évalué à 600 millions d'euros par saison, la fort belle somme que Canal + a choisi de payer pour l'exclusivité des droits de retransmission de la Ligue 1 au terme d'un appel d'offres dont la conclusion ponctue une période bénie au cours de laquelle les tenants du foot-business ont obtenu à peu près tout ce qu'ils revendiquaient. Une période dont le slogan pourrait être, pastichant celui de l'Olympique de Marseille, «droite au but».
Du coup, tout le monde est content. Même Jean-Michel Pierre Mondy. C'est dire. Pourtant que n'avait-on entendu le patron de l'Olympique lyonnais en porte-parole ronchon d'une frange de patrons de clubs stigmatisant l'archaïsme structurel du foot français les obligeant à se lancer sur l'autoroute des compétitions européennes furieusement accroché au volant d'une 2 CV brinquebalante et lestée des tares de l'étatisme, quand leurs rivaux étrangers roulaient nonchalamment le coude à la fenêtre d'une Ferrari survitaminée aux bienfaits du libéralisme. Et qu'en France, faute d'avoir les moyens de les garder, on était condamné à former des joueurs pour le Real, Arsenal ou le Bayern. Et qu'en Italie, ils pouvaient négocier leurs droits télé de manière individuelle. Et qu'en Angleterre, ils pouvaient être cotés en Bourse. Et que, partout ailleurs, ils payaient moins de charges. Et qu'ici on était corseté par un «modèle à la française» basé sur la solidarité entre mondes amateur et professionnel peut-être bon pour les activités de patronage mais totalement inadapté au sport moderne, celui où l'on a un oeil rivé sur la courbe des résultats et l'autre sur les bilans financiers.
Et puis vint Jean-François Lamour. Dans la foulée d'un Premier ministre qu'on prenait pour un aimable bonimenteur centriste, son ministre des Sports alla clamant qu'il ne serait pas le grand dérégulateur d'un système qu'il respectait trop pour en être lui-même issu. Puis vint, en juin 2003, son premier projet de loi, portant officiellement sur le sport en général mais répondant en particulier aux demandes des plus libéraux des patrons de clubs de foot, notamment sur une copropriété des droits télé entre la Ligue de football professionnel et les clubs. Réformette, raillèrent les intéressés. «Une loi spéciale foot», râlèrent les autres sports. Dans l'équilibre du sport français on
«déplace le curseur vers les sociétés commerciales», jugea Marie-George Buffet, ancienne ministre des Sports.
Et puis vint le rapport Denis, commandé par Jean-François Lamour à un proche de Jacques Chirac, reprenant quasiment point par point le catalogue de revendications du lobby du foot professionnel. Bien sûr, il y avait le problème de l'entrée en Bourse des clubs, cheval de bataille d'un Jean-Michel Pierre Mondy contre lequel Jean-François Lamour, en preux défenseur des vertus républicaines du sport, faisait rempart de son corps.
Ah les passes d'armes Pierre Mondy-Lamour... Le premier reprochant sa pusillanimité au deuxième. Le deuxième se servant de la lutte qu'il menait contre le premier sur l'entrée en Bourse pour signifier : «Vous-voyez-bien-que-si-je-n'étais-pas-là-la-porte-du-tout-business-s'ouvrirait en grand.» On était dans le purement symbolique. Car, à part l'Olympique lyonnais, quels étaient les clubs susceptibles de s'aventurer sur le terrain boursier ? Et alors même que Bruxelles s'apprêtait à lancer une action pour demander à l'Etat français de lever l'interdiction faite aux clubs d'être cotés, Jean-Michel Pierre Mondy (dont la demande d'autorisation avait entre-temps été retoquée par l'Autorité des marchés financiers) renonçait finalement à introduire son club en Bourse. A quoi bon, puisque finalement, Pierre Mondy and Co étaient entendus sur quasiment toutes leurs autres revendications dans la proposition de loi du groupe UMP adoptée tout récemment et qui leur permet désormais, mesure la plus spectaculaire, de rémunérer (à hauteur de 30 %) les joueurs sous forme de droits à l'image, exonérés de toute charge sociale. Un tiers de masse salariale défiscalisée, quel lobby aurait obtenu mieux ? Cerises sur le gâteau, points bonus dit-on dans le monde sportif, ce texte supprime l'interdiction d'être actionnaire minoritaire dans plusieurs clubs, escamote pour les clubs la taxe de 1 % sur les CDD (on n'a jamais vu un patron de club recruter un joueur en CDI...) et satisfait à quelques autres demandes.
Ce texte, c'est, finalement, moins d'un an après sa publication, le rapport Denis traduit en loi. Bien joué. En deux ans, l'environnement a changé pour les clubs de foot ­ on connaît des causes qui ont avancé moins vite. Thierry Roland aurait eu à commenter ce match entre les libéraux et les partisans du «modèle français», sans doute aurait-il dit que la défense de ces derniers était aux abonnés absents. Politiquement et législativement, la droite a fourni aux clubs de foot, au moins aux plus gros d'entre eux, les Ferrari. Restait à mettre de l'essence dedans. C'est Canal + qui la fournit sous la forme de son gros chèque.
Aujourd'hui, Jean-Michel Pierre Mondy est donc content. Il dit qu'il verrait bien un club français remporter dans les prochaines années la Ligue des champions, objectif à ses yeux inatteignable il y a peu pour cause de distorsion de concurrence en faveur des Anglais, Espagnols, Allemands ou Italiens. La première et dernière équipe hexagonale à avoir gagné le trophée majuscule du foot européen, c'est l'Olympique de Marseille. A l'époque, on parlait déjà d'argent. Mais de billets de cinq cents usagés dont les numéros ne se suivaient pas enterrés dans un sac plastique avec une bêche au fond du jardinet d'un pavillon. C'était en 1993. Il y a onze ans. Une autre époque. La préhistoire.
Gilles Dhers journaliste à Libération.