Kr1Deg1 a écrit :Pervers ou visionnaire???![Prop Prop](https://www.opiom.net/forums/images/smileysOpiom/prop.gif)
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préfère ne pas relever, ce n'est même pas un bon jeu de mot...là Kr1...
Sinon, avant hier, dans le figaro
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, un excellent article :
La petite peur des bien-pensants
La chronique d'Alain-Gérard Slama
[19 décembre 2005]
Certains silences sont plus parlants que de longues phrases. Il en allait ainsi, samedi soir, lorsque le comédien Jamel Debbouze, invité sur France 2 chez Laurent Ruquier, évoqua le roman de Steinbeck
Des souris et des hommes, dont il avait interprété le personnage de George au collège. Un silence subit s'est alors abattu sur le public d'ordinaire invité pour rire plutôt que pour se taire. A l'évidence, parmi les jeunes présents sur le plateau, à peu près aucun n'avait lu le livre.
En un éclair, cette brève allusion à une des plus grandes oeuvres du dernier avant-guerre arrachait le héros de
Mission Cléopâtre au stéréotype de l'enfant d'immigré de banlieue. Une vérité ressortait, qui, sur ce plateau, suscitait un malaise : si les voyous qui se sont déchaînés en novembre étaient, dans l'ensemble, déculturés, nombre d'autres sont loin de l'être ; ils partagent la volonté d'exceller qui caractérise toutes les minorités immigrées.
Le problème est que, si certains, d'Azouz Begag à Karim Zeribi en passant par Fatiha Benatsou, Jeannette Bougrab, Malek Boutih, Zaïr Kedadouche, Rachid Mokran et tant d'autres, jouent le jeu de la République dont ils ne se distinguent pas, les plus actifs et les plus présents sur les écrans de télévision sont ceux qui retournent contre elle sa culture.
C'est le cas de Claude Ribbe, normalien de la Rue d'Ulm, qui a troublé la célébration du bicentenaire de la bataille d'Austerlitz en rappelant, comme une grande découverte, que Napoléon Bonaparte a rétabli l'esclavage dans les colonies en 1802. Le cas aussi de Louis-Georges Thin, autre «ulmien», maître d'oeuvre du
Dictionnaire de l'homophobie (PUF) et cofondateur du Conseil représentatif des associations noires de France. Le cas, encore, des universitaires qui entourent Joey Starr, l'ancien patron du groupe NTM au sein du collectif Devoir de mémoire sans qu'on sache si l'objectif poursuivi par cette association est d'appeler les jeunes Français d'origine immigrée à voter, ou de les regrouper derrière un discours fortement identitaire. Tous exploitent la bavure de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 pour opposer au rôle
«en particulier positif» du passé colonial français une interprétation radicalement négative.
Ces élites sont beaucoup plus dangereuses que la «racaille» de banlieue. Elles sont fortes de notre faiblesse, de notre déculturation républicaine. Elles sont fortes parce qu'elles font peur aux bien-pensants, «bobos» de droite et de gauche, toujours prompts à battre leur coulpe oh ! comme dirait Bernanos, pas une grande peur, mais la petite, mesquine crainte de ne pas être du bon côté. Elles sont fortes enfin de la qualité de leurs prédécesseurs : ceux qui, à l'ère coloniale, écrivains, universitaires, journalistes, prirent la métropole au piège des droits de l'homme que celle-ci leur avait enseignés.
Le retour à l'envoyeur était alors légitime. Mais il s'accompagnait, chez Abbas, Amrouche, Fanon ou Feraoun, d'une reconnaissance implicite de la validité du bagage intellectuel qui, après les avoir asservis, leur permettait de se libérer. Aujourd'hui, la contestation a lieu sur notre sol et elle s'en prend aux principes eux-mêmes. C'est l'héritage des Lumières, et rien de moins, qui est remis en cause : l'universalisme est accusé d'impérialisme, l'individualisme de matérialisme, l'exigence d'égalité devant la loi de mépris des différences, et la laïcité d'intolérance, quand ce n'est pas de servir d'alibi au racisme. On s'étonne de voir un des grands anciens, Césaire lui-même, si pénétré de culture universelle, s'enfermer dans la «négritude» et se prendre à ce jeu.
Le nominalisme et l'amalgame, ces outils privilégiés des régimes totalitaires, sont de retour. Une phrase, un mot mal choisi, «racaille» par exemple, et vous êtes foutu. Vous voici diabolisé, passible d'un procès, voire accusé de négationnisme, comme cet historien, M. Pétré-Grenouilleau, coupable d'avoir étendu la responsabilité de l'esclavage au-delà du champ occidental, seul visé par la loi Taubira du 21 mai 2001.
Le délit d'omission n'est pas moins stigmatisé : un ouvrage collectif sur
La Fracture coloniale soupçonne Pierre Nora d'ethnocentrisme pour avoir négligé d'évoquer, dans
Les Lieux de mémoire, le centenaire de la commémoration de la conquête de l'Algérie, en 1930. Comme si Nora n'avait pas écrit, avec
Les Français d'Algérie, un des essais les plus cruels et, hélas, les plus lucides sur nos départements d'outre-Méditerranée, et comme si une de ses thèses ne tendait pas précisément à souligner le peu de place que la mémoire coloniale occupait jusqu'ici dans la conscience nationale française. Sous couleur de revendiquer les moyens de leur intégration, ces nouvelles élites posent les jalons d'une autre République, qui serait multiculturelle, et où tous les identitarismes, le national comme les communautaires, s'opposeraient dans une guerre sans merci. Par bonheur, des historiens, des intellectuels se rebiffent, mais ce ne sont pas eux que les médias écoutent. Le même silence qui, samedi soir, entourait Debbouze, et qui se fait plus lourd chaque fois que, à la télévision, il est question de culture