29-04-2011, 07:22
Résumé de l’épisode précédent : désolé mais rapport à l’espace disque alloué sur le serveur, Cynik m’a formellement interdit de rajouter une ligne.
L’entrée dans mon appartement des duettistes fagotés en clown ne provoqua aucune hilarité dans le public médusé composé de votre serviteur acculé contre le placard du hall, Pénélope assise en tailleur sur le canapé du salon au milieu des kleenex usagés et du chat Oscar Gonzalez aplati sous le fauteuil et tremblant de tout son poil.
Il faut dire que le grand black à tête de Mister T tenait mon voisin Bouli par le collet tout en plaquant contre sa glotte un objet tranchant et effilé qui ressemblait fort à un cran d’arrêt tandis que l’autre clown totalement hystérique vociférait en postillonnant.
« Tout le monde est bien sage, grogna le clown en s’avançant dans le salon de mon deux- pièces.
- Sinon je le saigne comme un goret… », ajouta Mister T en enfonçant le plat de la lame dans le cou replet de Bouli.
Mon voisin suait à grosses gouttes sous sa casquette trop grande pour lui. Un modèle style rapeur ricain, visière plate et front rigide en tranche de cake orné d’un écusson bizarre sur le devant, une casquette surdimensionnée que je ne lui connaissais pas.
Je ne pus contenir un léger fou rire.
« Assez ri… Cash, et cartes bleues, et bijoux et clés de bagnoles aussi, et… vite… », dit le clown.
Le butin amassé sur la table basse s’éleva royalement à 23€55 en petites coupures, pièces jaunes comprises.
Une somme à laquelle nous rajoutâmes le contenu des sacs, soit pêle-mêle :
Un jeton pour caddy de supermarché, une boite de kleenex pas mal entamée, une Swatch modèle 99, mais le bracelet turquoise est quasi neuf, un pins Sidaction, une carte postale norvégienne d’un joli fjord de Kalamata, 4 tickets de métro dont un usagé, une paire de boucles d’oreille fantaisie, un tube de mascara, un porte clé OM avec la clé de mon scooter crevé et abandonné depuis six mois, une carte Fnac périmée, un demi paquet de Lucky avec photo d’organes putréfiés, trois flacons de vernis à ongle et une lime plate.
On était loin du compte et des 6548,70 € que Bouli devait à ces messieurs.
« Pas de carte de crédit, ni de chéquier, vous vous foutez de ma gueule ? éructa le clown.
- Désolée, en fait j’ai pas pu les prendre avec moi, répondit Pénélope tout en remontant les bretelles de son petit haut froncé. Vu que je devais trimbaler Oscar Gonzalez, figurez-vous que j’ai dû changer plusieurs fois de sacs et donc…
- On s’en fout, coupa court le clown.
- Ferme la ! surenchérit Mister T.
- On devrait la fouiller, si ça se trouve c’est du pipeau !
- Le premier qui me touche je lui crève un œil, répondit Pénélope en s’armant de la lime plate. Aaaaa… Aaa… Atchoum ! ...En revanche si vous ne faites rien des kleenex … ça b’arrange de les rebrendre. »
Elle éternua de plus belle.
« Et toi ta carte bleue ? » m’interpella Mister T sans toutefois relâcher la pression sur l’encolure du pauvre Bouli plus que jamais en nage.
J’indiquai stoïquement le guéridon du salon où trônait le courrier ouvert de la semaine dont une notification de ma banque en ligne.
Le clown l’attrapa, lut rapidement et sourit.
« Ben voilà… 170411, dit-il, y a largement assez…
- Non, ça c’est la date si je peux me permettre. »
Je conseillai au clown de lire le bas de la feuille.
« Solde débiteur en euros : mille deux cent…
- Sans parler de la menace d’Interdit Bancaire.
- Mais c’est n’importe quoi ? fit le clown en se retournant vers Bouli.
- Je ne vous le fais pas dire !
- Il a pas un rond, se lamenta le clown. J’y crois pas ! »
Je fouraillais mes poches et en extirpais une pièce de deux euros et trois pièces de 5 cents que je rajoutais à la cagnotte de la table basse.
« Voilà, ne me remerciez pas. Si je peux dépanner... compatis-je.
- Plus que 6523€ à trouver ! en déduisit fort à propos Pénélope qui avait toujours adoré tenir la banque dans les parties de Monopoly.
- C’est mieux que rien… Non ? » se hasarda Bouli à Mister T, juste avant de sentir le tranchant de sa lame lui gratouiller un peu plus profondément le triple menton.
Le clown cherchant à réaffirmer son autorité, manifesta son mécontentement par un grand coup de pied, type ruade avant dans le fauteuil club juste devant lui.
Ce fut une erreur.
Le chat brutalement mis à découvert, lâcha un miaulement strident de terreur, démarra tel Speedy Gonzalez et fila ventre à terre à la vitesse de l’éclair. Le clown surpris par le déplacement ultra rapide de la bête à poil entre sa jambe d’appui, resta un moment en balancier instable sur un pied, moulina bêtement des bras pour trouver une prise invisible avant de basculer tête la première vers la fenêtre et s’empêtrer dans les voilages entraînant dans sa chute la tringle à rideau.
Mister T en resta comme deux ronds de flan et relâcha son étreinte sur Bouli pour constater les dégâts en grimaçant. Pénélope en profita pour s’extirper du canapé, exécuta un triple saut de bouquetin pour atteindre la cuisine américaine avant de s’accroupir derrière le bar. Oscar Gonzalez n’était qu’une touffe hérissée et arquée soufflant et feulant sous la table basse. Bouli regardait tout ce charivari en balançant sa tête de gauche à droite à la manière d’un spectateur de tennis. Je n’eus pas le temps de savoir quoi faire, Pénélope réapparut de derrière le comptoir, une poêle à frire dans la main, de l’autre elle me lança le balai brosse.
Ainsi équipé, je me jetai inconsidérément à l’assaut, manque de bol mon mouvement de bâton tournoyant accrocha le lustre, la brosse se détacha du manche et pareil un boomerang traversa le salon en autorotation, frôla la casquette ridicule de Bouli avant de terminer sa course pile poil entre les yeux de Mister T. Un magnifique coup de balai. Le grand black sonné par le choc s’effondra au pied de Bouli.
En pleine confiance, je me proposai de faire d’une paire, deux couillons en allant bastonner l’autre avec le manche. Je fus stoppé net dans mon élan.
Perruque de traviole, nez rouge pendouillant, un mocassin en moins, le Clown s’était finalement extirpé du double rideau qui lui faisait comme une cape d’évêque et brandissait vers moi un engin long et menaçant sortie de sa gabardine. Un méchant reflet courût sur le canon noir métal alors qu’il chargeait l’arme par un mouvement rapide de va-et-vient à la garde.
Je crois bien qu’une telle arme s’appelle un fusil à pompe.
Bouli fit comme dans les films et monta frénétiquement ses mains en l’air histoire d’adopter une attitude pacifiste et signifier illico son intention de ne pas riposter. Un doux euphémisme si l’on pense que pour tout argument belliqueux, mon voisin boulimique devait porter sur lui un vieux quignon de hot-dog à la moutarde au fin fond de son bermuda. Pénélope l’imita dans la foulée sans toutefois abandonner la poêle à frire qu’elle garda à bout de bras tel un chef de gare. Le truc des mains en l’air devait être contagieux car je lâchai le reste du manche à balai pour présenter mes paumes ouvertes à hauteur d’épaule.
« Bon, on se calme monsieur le clown… m’hasardai-je.
- Are You Talking Tou Mi… Hein ? Are you talking tou mi ? me coupa le clown en V.O mais avec un vache d’accent méridional. You know ou aille am ! Hein ?
- Euh … No, répondis-je.
- Pas No ! NO-NO… aille am NONO ! Ande you know ouaille? Hein ? You know ouaille maille nem is NONO ? »
Je ne comprenais rien à ce que racontait ce pauvre garçon et commençais à regretter amèrement d’être si peu polyglotte.
« Vous savez pourquoi, hein ? Pourquoi on m’appelle NONO ? » traduisit-il.
Nous nous regardâmes furtivement tous les trois et branlèrent du chef par la négative. Nous affichâmes en plus du non de tête, un air consterné qui devait autant aux talents d’acteur du clown qu’à notre profond désarroi.
« NO, NO… C’est les derniers mots que prononcent mes ennemis. Vous comprenez ? NO et NO ! NO,… NO… Ce sont les derniers mots qu’ils prononcent pour me supplier ! » se délecta-t-il en s’avançant à petits pas au milieu du salon sans pour autant se défaire de la traîne du double rideau.
« Ams, tram, gram… Pic et pic et colégram… »
Le clown joua un peu avec nos nerfs tandis que son fusil oscillait tour à tour entre nous trois exactement pareil à une roue de tombola qui hésite sur le numéro gagnant.
« Bour et Bour et… ratatam! » ricana-t-il en arrêtant net son geste circulaire.
Il venait de pointer le canon en direction de ma poitrine. J’étais apparemment choisi pour être la première victime. Veinard que j’étais.
Je me détournai vers Pénélope toujours les bras en l’air. Quitte à mourir que ce soit avec son image en tête, j’interceptai une goutte de sueur perler sous ses aisselles épilées et crus y voir la rosée scintillante d’un oasis perdu.
Réflexe désespéré de survie. Je me mis à imaginer un miracle, tout et n’importe quoi pour me sortir de là. Je ne sais pas moi… Oscar Gonzalez pourrait se métamorphoser en Lynx féroce, retrouver les gênes de ses félins ancêtres et sauter à la gorge du clown !
Aucune chance de ce coté là. Le matou redevenu calme se pourléchait les coussinets et entreprit de se nettoyer l’arrière des oreilles.
Le clown hilare posa dangereusement son index sur la détente alors que mes pensées s’accéléraient.
Au secours ! Personne pour me sauver, même toi Pénélope ! La malheureuse n’était pas en état, tétanisée par la peur avec la poêle qui flageolait au-dessus de sa tête. Restait Bouli… Bouli, cette andouille de Bouli. C’est encore de ta faute tout ça ! Bouli mon boulet, mon bon gros Bouli… Il pourrait pas lui lancer son quignon de hot-dog à la tronche à cet empaffé de clown.
Je vis nettement la gâchette enfoncée et le mouvement de culasse du fusil à pompe.
bouse… No, No…
Alors que je m’attendais à la morsure brûlante d’une balle à bout portant, que j’imaginais la traversée douloureuse à près de 500 mètres par seconde d’un projectile acéré entrant dans mon sternum, perforant mon poumon et ressortant de ma cage thoracique en me désintégrant au passage une vertèbre dorsale … Le canon expulsa une tige télescopique au bout duquel se déplia un fanion publicitaire pour une compagnie d’assurances.
EPILOGUE
Bouli éclata de rire pour rompre un blanc embarrassant et nous baissâmes tous les bras.
Nono enleva sa perruque, se drapa dans le double rideau tel un acteur de tragédie avant de saluer l’audience d’une courbette ampoulée.
« J’étais bon ! Non ? Comment vous avez trouvé ? »
Bouli applaudit en enlevant son affreuse casquette à l’écusson translucide qui dissimulait l’objectif d’une mini webcam montée sur une lampe frontale.
Nono réitéra son salut courbé et c’est là qu’il dût entendre comme un gong lui emplir la tronche. Il s’affaissa sur les genoux puis face contre terre, assommé par le revers puissant d’une poêle à frire.
POST-SCRIPTUM
Pour l’auguste Nono et Mister T, le grand black qui faisait le clown blanc (sic), l’examen médical de leur occiput respectif a révélé un traumatisme crânien bénin. Les deux s’en sortiront malgré un cerveau passablement secoué, et si vous voulez mon avis pas seulement à cause du choc. Nono, cousin germain de Bouli est ce qu’on appelle un clown d’entreprise et devait passer un casting pour l’animation d’un événementiel de compagnie d’assurance sur le thème du Home-Jacking très à la mode ces temps-ci. D’où toute cette petite mise en scène filmée in vivo par Bouli en guise de répétition générale du « pestacle », comme on dit chez les clowns.
Hors-jeu pour cette fois, les deux compères tenteront néanmoins leur chance pour animer le prochain séminaire de la compagnie. Le thème : Les catastrophes naturelles en milieu urbain.
De vous à moi, je n’ose rien imaginer.
Pour Oscar Gonzalez notre chat dépressif, après moult tergiversations nous avons opté avec Pénélope pour la garde alternée. En revanche, elle n’en démord pas et tient absolument à le rebaptiser d’un nom à deux syllabes. J’ai proposé : Lucho. Elle réfléchit. Les négociations sont en cours mais je ne désespère pas sortir de cette impasse décisive.
Fly
En cas de morsure de vipère, sucez-vous le genou, ça fait marrer les écureuils