23-04-2004, 20:31
09 Janvier 1997 (nouvel obs)
Robert Louis Dreyfus, la folle réussite d'un joueur de poker
[size=2]Article sur le site http://www.supporters-de-marseille.com/[/size]
C'était un fils de famille dilettante, héritier du leader mondial du commerce de grains. Il a tout plaqué pour aller faire fortune aux Etats-Unis. Un jour le Crédit lyonnais lui a déroulé le tapis rouge pour qu'il daigne acheter Adidas à Bernard Tapie. Robert Louis-Dreyfus a ainsi acheté 2 milliards de francs une entreprise qui en vaut aujourd'hui 23 ! Et le voilà qui chausse à nouveau les bottes de Tapie en reprenant l'OM. Petits secrets d'un parcours hors normes.
Il donne ses conférences de presse en chaussettes. Quand on sait qu'il est multimilliardaire, que son métier est de vendre des chaussures et que, par surcroît, il est fils de bonne famille, on se dit que celui-là ne doit pas être mauvais homme. Robert Louis-Dreyfus, 50 ans, principal actionnaire et PDG d'Adidas, président de l'Olympique de Marseille depuis le 13 décembre, ne répond à aucun standard. Il est mi-héritier mi-aventurier, vrai gestionnaire et vrai spéculateur, faux libéral, passionné de sport - le seul domaine où il est incollable - il ne porte pas de cravate mais fume de gros cigares. Il est français mais sa première langue est l'anglais, il travaille en Allemagne, habite en Suisse, son seul diplôme est américain, sa femme est russe, ses rêves sont en Chine, tout comme ses nouvelles chaînes de production.
Robert a le sens du contre-pied. En football, c'est un atout, à Marseille une nécessité. Inclassable et atypique, comme un certain Tapie, ex-PDG d'Adidas et ancien président de l'OM ? Mais Tapie est né dans une famille d'ouvriers, Robert dans la soie. Rejeton de l'empire Louis-Dreyfus. Les héritages sont de subtils dosages. Entre OEdipe et Freud, un psychiatre s'en donnerait à coeur joie. Robert a grandi entre une mère catholique de gauche - «une femme exceptionnelle» - et un père juif conservateur - «un homme d'habitudes». Mais les Louis-Dreyfus, c'est d'abord une dynastie.
Au milieu du siècle dernier, Léopold Dreyfus, un jeune Alsacien, se lance, charrette aux bras, dans le commerce du grain. Il n'est pas encore majeur et n'a pas le droit d'utiliser son nom de famille. Alors, il emprunte le prénom de son père pour fonder sa première société, Léopold Louis. Le succès est foudroyant. A sa majorité, la société Louis est si connue qu'il ne peut plus changer son patronyme. Elle s'appellera donc Louis-Dreyfus. Avant même les Lazard, autre famille juive alsacienne, Louis-Dreyfus est la première à s'internationaliser. De l'Argentine à la Chine, Louis-Dreyfus est le numéro un mondial du négoce de céréales.
Un siècle a passé. Et quatre générations. Robert est petit-fils d'un sénateur des Alpes-Maritimes et président du club de football de Cannes, fils de grands bourgeois et élevé comme tel. Villa cossue et nurses anglaises, jamais les coudes sur la table. En famille, on ne parle bien sûr jamais affaires. «Je n'avais pas et je n'ai jamais eu de notion du coût de la vie», lâche-t-il un jour dans un magazine. Arrogance de classe ? «Il n'y avait aucun cynisme dans cette phrase», se justifie-t-il.
Très longtemps, Robert ignorera les contours du conglomérat familial. Il ne cherche pas à savoir. «J'étais un enfant docile.» On croit alors qu'il n'a ni la fibre de l'école ni celle des affaires. «Je n'ai pas mon bac», dit-il, mi-penaud, mi-fier de son effet. Après le lycée, ses parents lui paient l'Ecole des Cadres à Neuilly. Avec Alain-Dominique Perrin, PDG de Cartier et quelques autres anciens, il l'a rachetée pour tenter de mettre en pratique quelques-unes de ses idées. «En France, on n'a pas le droit à l'erreur. C'est la grosse faille du système éducatif français. Si vous ratez une fois, inutile d'espérer faire Polytechnique ou HEC.»
A l'Ecole des Cadres, Robert Louis-Dreyfus a une seconde vie, nocturne et juteuse. Il gagne des sommes folles au poker où sa fausse indolence fait merveille. Ce qui, évidemment, n'est du goût ni de son père ni de son oncle, qui l'envoient aux Etats-Unis.
Le voilà qui arpente le Midwest pour acheter la production de blé des paysans américains. Un parcours initiatique qui a laissé des cicatrices. «On m'a fait comprendre que j'étais le vilain petit canard de la famille.» Jusqu'au jour où le mauvais élève intègre Harvard et décroche son prestigieux MBA. Les regards, jusque-là obliques, commencent à changer. Lui-même s'intéresse enfin à la société familiale. «J'étais chargé de la diversification avec un ingénieur agronome, Jean Pinchon, qui m'a tout appris.» Mais l'amertume ne s'est pas dissipée. Robert n'accepte pas le prix (fort) qu'on lui demande d'acquitter pour obtenir le pouvoir. A la surprise générale, il quitte Louis-Dreyfus ! «Toute la famille est persuadée que ce que je fais, depuis, c'est pour préparer mon retour, s'amuse-t-il. Ils se trompent.»
Robert Louis-Dreyfus affiche la décontraction mais il n'est pas parti à l'aventure. Il a un point de chute. C'est la société américaine IMS, leader mondial des études de marchés médicaux. En 1981, son patron doit résoudre un problème crucial: il ne veut promouvoir aucun de ses trois directeurs pour ne pas rompre l'équilibre. Il a rencontré Robert Louis-Dreyfus à Harvard et lui demande de venir le rejoindre. «Il s'est passé alors quelque chose d'extraordinaire, explique Robert : une osmose parfaite entre les directeurs et moi. Nous étions complémentaires et nous nous entendions idéalement.»
Coup de pouce du destin : quelques mois plus tard, le patron d'IMS meurt. Robert Louis-Dreyfus prend sa place. Avec Christian Tourres, David Bramilow et Tom Russel, ils vont développer l'entreprise pour mieux la vendre. Jackpot ! 300 millions de francs pour Robert Louis-Dreyfus. A quoi il faut cependant retrancher l'amende de 1 million de francs à laquelle il est condamné par la SEC, gendarme de la Bourse de New York. Pour délit d'initié.
A 42 ans, Robert Louis-Dreyfus prend tout le monde à revers : il décide de se mettre en retraite. «Je n'avais aucune envie d'accumuler l'argent pour l'argent. Les élites sont obnubilées par l'argent. C'est ridicule et ça fout en l'air le système.» Alors il parcourt la planète, en particulier la Chine, où il se rend des dizaines de fois. Seul problème pour le jeune retraité : «Mes copains continuaient à travailler. J'étais en décalage complet.»
Va-t-il replonger ? Au moment où il se pose la question, les frères Saatchi, gourous de la pub britannique, pressés par leurs banquiers et créanciers, l'appellent pour redresser leur société. Comment se sont-ils connus ? Robert Louis-Dreyfus et Charles Saatchi sont les piliers de la plus grosse table de poker de Londres !
Copain-copain ? Pour Charles et Maurice Saatchi, le choc est terrible. D'un côté, Robert Louis-Dreyfus débarque aux réunions en jean et polo. Déjà, il se déchausse sous la table. Mais le folklore s'arrête là : il oblige les Saatchi à vendre le plus bel immeuble de bureaux de Londres, à décrocher et à vendre les tableaux de maîtres qui ornent leurs bureaux, à céder leurs quatre Rolls Royce et à licencier plusieurs milliers de personnes. Pour donner l'exemple, il divise son propre salaire d'embauche (3 millions de francs par an) par deux et s'affiche en 205 Peugeot. En quelques mois, il devient ainsi la coqueluche de la City. Mais il découvre aussi l'horreur de la presse populaire britannique. Des photographes partout, les ragots des tabloïds. On lui prête les plus belles femmes du monde, mais aussi des garçons.
Parce qu'il est français et parce qu'il a du charme ? Une légère coquetterie dans un regard bleu sans sourcils, une manière de ponctuer ses phrases par un geste des mains, paumes offertes, qui semble dire : je n'ai plus rien dans les mains, vous savez tout. Un vieux reste du poker. Du bluff. L'épisode londonien laissera des séquelles. Aujourd'hui, avant chaque interview, Robert prévient. Une seule règle du jeu : pas de vie privée. Une vie privée qu'il veut sans relief. Du sport, du ski, l'opéra, une vie retirée, au calme, près de Zurich, pas de jet privé, pas de gardes du corps, tout juste avoue-t-il un amour des belles voitures et un faible pour les Jaguar.
En affaires, la réputation du joueur de poker, faux dilettante, a vite fait le tour du monde. Il reçoit de nombreuses propositions, dont celle d'un ancien cadre de Louis-Dreyfus, Jean-Paul Tchang, passé aux AGF. En 1992, Tchang est chargé par son entreprise et par le Crédit lyonnais de trouver un repreneur pour Adidas. Première approche : «J'ai eu un réflexe bête et banal. Pour moi tout ce qui touchait Tapie était pourri.» Il n'est pas le seul à avoir réagi de la sorte. Aux abois, la banque française proposera l'affaire à tout le monde, même au rival américain Nike, à un prix bradé. Mais Nike n'a même pas regardé le dossier. «Tous les concurrents attendaient simplement la mort d'Adidas.» Le Crédit lyonnais et les AGF reviennent à la charge.
Robert Louis-Dreyfus et son compère d'IMS, Christian Tourres, se décident à ausculter sérieusement la marque aux trois bandes. «Quand nous avons eu la certitude qu'il n'y avait pas de vice caché, nous avons discuté avec le Crédit lyonnais.» Le rapport de force est en leur faveur. Le Lyonnais leur fait un contrat sur mesure selon lequel, s'ils redressent Adidas, ils gagnent mais s'ils échouent, c'est la banque qui a perdµ. Le Lyonnais leur prête de l'argent à 0,5% ! Tout se passe comme si Robert Louis-Dreyfus avait accepté d'aider le Crédit lyonnais à se vendre Adidas à lui-même, en sous-main, via deux fonds d'investissements situés dans des paradis fiscaux. C'est en tout cas le sens d'un jugement, frappé d'appel, du tribunal de commerce de Paris. Tapie a vendu Adidas au prix où il l'avait acheté: 2 milliards de francs, alors que la société en vaut aujourd'hui 23 à la Bourse de Francfort !
Qui a fait la culbute ? Officiellement, les quatre associés de la Sogedim, qui contrôle Adidas, ont touché 2,78 milliards de francs lors de l'introduction en Bourse. Mais Robert Louis-Dreyfus s'est vanté, dans une interview à «USA Today», d'avoir gagné 2,5 milliards de francs, sans risques, dans le rachat d'Adidas !
Encore fallait-il oser reprendre Adidas. Et savoir la redresser, là où Tapie avait échoué. Louis-Dreyfus et Tourres appliquent leur méthode. On taille à la hache, on délocalise, on pousse les feux sur la publicité. Robert Louis-Dreyfus demande à tout vérifier. Pas une chaussure qui ne passe sur son bureau avant sa commercialisation. Le moribond de Herzogenaurach ressuscite, reprend à Reebok la place de numéro deux mondial. Entre 1995 et 1996, le chiffre d'affaires bondit de 11,9 à 15,3 milliards de francs et le résultat net approche le milliard. Problème : devant sa montagne de jetons, le joueur de poker «s'emmerde». «Moi, la gestion au quotidien, je sais faire, mais ça m'ennuie.»
Prend-il l'OM par désoeuvrement ou parce qu'il ne peut s'empêcher d'enfiler les vêtements de Tapie que pourtant il exècre ? Louis-Dreyfus s'en défend : il a une vieille et vraie passion pour le sport en général et le football en particulier. Depuis 1974, tous les quatre ans, il prend régulièrement un mois de vacances pour assister à la Coupe du Monde de Football. Le voilà justement confronté à deux défis à sa mesure : la Coupe de 1998 en France et la reprise de l'Olympique de Marseille. «Il a fait de la Coupe en France une affaire personnelle», dit un cadre qui travaille sur les publicités Adidas. Sous la passion pointe aussi la raison. Car derrière le regard doux et les gestes souples se cache un redoutable businessman, capable des pires colères, qui a juré que Nike ne prendrait pas pied dans le football.
C'est aussi pourquoi il tente le pari risqué de l'OM : l'autre projet de reprise était piloté par IMG, tête de pont de McCormark. «Et IMG, lâche-t-il, c'était Nike.» Les Marseillais, eux, font peu à peu connaissance avec le nouveau président de l'OM. Le soir des incidents à l'issue de la rencontre Marseille-Nantes, en pleine furie, beaucoup ont été interloqués de le voir stoïque, une coupe à la main, arpenter les vestiaires. Lui découvre Marseille et ses légendes. «A côté de l'OM, Adidas c'est du petit-lait.» La greffe ne sera pas facile, il le sait. «On se cassera la gueule en essayant. Je vais peut-être m'y brûler comme un papillon mais tant pis ! »
Christophe Bouchet
Interesting, nan ?
Robert Louis Dreyfus, la folle réussite d'un joueur de poker
[size=2]Article sur le site http://www.supporters-de-marseille.com/[/size]
C'était un fils de famille dilettante, héritier du leader mondial du commerce de grains. Il a tout plaqué pour aller faire fortune aux Etats-Unis. Un jour le Crédit lyonnais lui a déroulé le tapis rouge pour qu'il daigne acheter Adidas à Bernard Tapie. Robert Louis-Dreyfus a ainsi acheté 2 milliards de francs une entreprise qui en vaut aujourd'hui 23 ! Et le voilà qui chausse à nouveau les bottes de Tapie en reprenant l'OM. Petits secrets d'un parcours hors normes.
Il donne ses conférences de presse en chaussettes. Quand on sait qu'il est multimilliardaire, que son métier est de vendre des chaussures et que, par surcroît, il est fils de bonne famille, on se dit que celui-là ne doit pas être mauvais homme. Robert Louis-Dreyfus, 50 ans, principal actionnaire et PDG d'Adidas, président de l'Olympique de Marseille depuis le 13 décembre, ne répond à aucun standard. Il est mi-héritier mi-aventurier, vrai gestionnaire et vrai spéculateur, faux libéral, passionné de sport - le seul domaine où il est incollable - il ne porte pas de cravate mais fume de gros cigares. Il est français mais sa première langue est l'anglais, il travaille en Allemagne, habite en Suisse, son seul diplôme est américain, sa femme est russe, ses rêves sont en Chine, tout comme ses nouvelles chaînes de production.
Robert a le sens du contre-pied. En football, c'est un atout, à Marseille une nécessité. Inclassable et atypique, comme un certain Tapie, ex-PDG d'Adidas et ancien président de l'OM ? Mais Tapie est né dans une famille d'ouvriers, Robert dans la soie. Rejeton de l'empire Louis-Dreyfus. Les héritages sont de subtils dosages. Entre OEdipe et Freud, un psychiatre s'en donnerait à coeur joie. Robert a grandi entre une mère catholique de gauche - «une femme exceptionnelle» - et un père juif conservateur - «un homme d'habitudes». Mais les Louis-Dreyfus, c'est d'abord une dynastie.
Au milieu du siècle dernier, Léopold Dreyfus, un jeune Alsacien, se lance, charrette aux bras, dans le commerce du grain. Il n'est pas encore majeur et n'a pas le droit d'utiliser son nom de famille. Alors, il emprunte le prénom de son père pour fonder sa première société, Léopold Louis. Le succès est foudroyant. A sa majorité, la société Louis est si connue qu'il ne peut plus changer son patronyme. Elle s'appellera donc Louis-Dreyfus. Avant même les Lazard, autre famille juive alsacienne, Louis-Dreyfus est la première à s'internationaliser. De l'Argentine à la Chine, Louis-Dreyfus est le numéro un mondial du négoce de céréales.
Un siècle a passé. Et quatre générations. Robert est petit-fils d'un sénateur des Alpes-Maritimes et président du club de football de Cannes, fils de grands bourgeois et élevé comme tel. Villa cossue et nurses anglaises, jamais les coudes sur la table. En famille, on ne parle bien sûr jamais affaires. «Je n'avais pas et je n'ai jamais eu de notion du coût de la vie», lâche-t-il un jour dans un magazine. Arrogance de classe ? «Il n'y avait aucun cynisme dans cette phrase», se justifie-t-il.
Très longtemps, Robert ignorera les contours du conglomérat familial. Il ne cherche pas à savoir. «J'étais un enfant docile.» On croit alors qu'il n'a ni la fibre de l'école ni celle des affaires. «Je n'ai pas mon bac», dit-il, mi-penaud, mi-fier de son effet. Après le lycée, ses parents lui paient l'Ecole des Cadres à Neuilly. Avec Alain-Dominique Perrin, PDG de Cartier et quelques autres anciens, il l'a rachetée pour tenter de mettre en pratique quelques-unes de ses idées. «En France, on n'a pas le droit à l'erreur. C'est la grosse faille du système éducatif français. Si vous ratez une fois, inutile d'espérer faire Polytechnique ou HEC.»
A l'Ecole des Cadres, Robert Louis-Dreyfus a une seconde vie, nocturne et juteuse. Il gagne des sommes folles au poker où sa fausse indolence fait merveille. Ce qui, évidemment, n'est du goût ni de son père ni de son oncle, qui l'envoient aux Etats-Unis.
Le voilà qui arpente le Midwest pour acheter la production de blé des paysans américains. Un parcours initiatique qui a laissé des cicatrices. «On m'a fait comprendre que j'étais le vilain petit canard de la famille.» Jusqu'au jour où le mauvais élève intègre Harvard et décroche son prestigieux MBA. Les regards, jusque-là obliques, commencent à changer. Lui-même s'intéresse enfin à la société familiale. «J'étais chargé de la diversification avec un ingénieur agronome, Jean Pinchon, qui m'a tout appris.» Mais l'amertume ne s'est pas dissipée. Robert n'accepte pas le prix (fort) qu'on lui demande d'acquitter pour obtenir le pouvoir. A la surprise générale, il quitte Louis-Dreyfus ! «Toute la famille est persuadée que ce que je fais, depuis, c'est pour préparer mon retour, s'amuse-t-il. Ils se trompent.»
Robert Louis-Dreyfus affiche la décontraction mais il n'est pas parti à l'aventure. Il a un point de chute. C'est la société américaine IMS, leader mondial des études de marchés médicaux. En 1981, son patron doit résoudre un problème crucial: il ne veut promouvoir aucun de ses trois directeurs pour ne pas rompre l'équilibre. Il a rencontré Robert Louis-Dreyfus à Harvard et lui demande de venir le rejoindre. «Il s'est passé alors quelque chose d'extraordinaire, explique Robert : une osmose parfaite entre les directeurs et moi. Nous étions complémentaires et nous nous entendions idéalement.»
Coup de pouce du destin : quelques mois plus tard, le patron d'IMS meurt. Robert Louis-Dreyfus prend sa place. Avec Christian Tourres, David Bramilow et Tom Russel, ils vont développer l'entreprise pour mieux la vendre. Jackpot ! 300 millions de francs pour Robert Louis-Dreyfus. A quoi il faut cependant retrancher l'amende de 1 million de francs à laquelle il est condamné par la SEC, gendarme de la Bourse de New York. Pour délit d'initié.
A 42 ans, Robert Louis-Dreyfus prend tout le monde à revers : il décide de se mettre en retraite. «Je n'avais aucune envie d'accumuler l'argent pour l'argent. Les élites sont obnubilées par l'argent. C'est ridicule et ça fout en l'air le système.» Alors il parcourt la planète, en particulier la Chine, où il se rend des dizaines de fois. Seul problème pour le jeune retraité : «Mes copains continuaient à travailler. J'étais en décalage complet.»
Va-t-il replonger ? Au moment où il se pose la question, les frères Saatchi, gourous de la pub britannique, pressés par leurs banquiers et créanciers, l'appellent pour redresser leur société. Comment se sont-ils connus ? Robert Louis-Dreyfus et Charles Saatchi sont les piliers de la plus grosse table de poker de Londres !
Copain-copain ? Pour Charles et Maurice Saatchi, le choc est terrible. D'un côté, Robert Louis-Dreyfus débarque aux réunions en jean et polo. Déjà, il se déchausse sous la table. Mais le folklore s'arrête là : il oblige les Saatchi à vendre le plus bel immeuble de bureaux de Londres, à décrocher et à vendre les tableaux de maîtres qui ornent leurs bureaux, à céder leurs quatre Rolls Royce et à licencier plusieurs milliers de personnes. Pour donner l'exemple, il divise son propre salaire d'embauche (3 millions de francs par an) par deux et s'affiche en 205 Peugeot. En quelques mois, il devient ainsi la coqueluche de la City. Mais il découvre aussi l'horreur de la presse populaire britannique. Des photographes partout, les ragots des tabloïds. On lui prête les plus belles femmes du monde, mais aussi des garçons.
Parce qu'il est français et parce qu'il a du charme ? Une légère coquetterie dans un regard bleu sans sourcils, une manière de ponctuer ses phrases par un geste des mains, paumes offertes, qui semble dire : je n'ai plus rien dans les mains, vous savez tout. Un vieux reste du poker. Du bluff. L'épisode londonien laissera des séquelles. Aujourd'hui, avant chaque interview, Robert prévient. Une seule règle du jeu : pas de vie privée. Une vie privée qu'il veut sans relief. Du sport, du ski, l'opéra, une vie retirée, au calme, près de Zurich, pas de jet privé, pas de gardes du corps, tout juste avoue-t-il un amour des belles voitures et un faible pour les Jaguar.
En affaires, la réputation du joueur de poker, faux dilettante, a vite fait le tour du monde. Il reçoit de nombreuses propositions, dont celle d'un ancien cadre de Louis-Dreyfus, Jean-Paul Tchang, passé aux AGF. En 1992, Tchang est chargé par son entreprise et par le Crédit lyonnais de trouver un repreneur pour Adidas. Première approche : «J'ai eu un réflexe bête et banal. Pour moi tout ce qui touchait Tapie était pourri.» Il n'est pas le seul à avoir réagi de la sorte. Aux abois, la banque française proposera l'affaire à tout le monde, même au rival américain Nike, à un prix bradé. Mais Nike n'a même pas regardé le dossier. «Tous les concurrents attendaient simplement la mort d'Adidas.» Le Crédit lyonnais et les AGF reviennent à la charge.
Robert Louis-Dreyfus et son compère d'IMS, Christian Tourres, se décident à ausculter sérieusement la marque aux trois bandes. «Quand nous avons eu la certitude qu'il n'y avait pas de vice caché, nous avons discuté avec le Crédit lyonnais.» Le rapport de force est en leur faveur. Le Lyonnais leur fait un contrat sur mesure selon lequel, s'ils redressent Adidas, ils gagnent mais s'ils échouent, c'est la banque qui a perdµ. Le Lyonnais leur prête de l'argent à 0,5% ! Tout se passe comme si Robert Louis-Dreyfus avait accepté d'aider le Crédit lyonnais à se vendre Adidas à lui-même, en sous-main, via deux fonds d'investissements situés dans des paradis fiscaux. C'est en tout cas le sens d'un jugement, frappé d'appel, du tribunal de commerce de Paris. Tapie a vendu Adidas au prix où il l'avait acheté: 2 milliards de francs, alors que la société en vaut aujourd'hui 23 à la Bourse de Francfort !
Qui a fait la culbute ? Officiellement, les quatre associés de la Sogedim, qui contrôle Adidas, ont touché 2,78 milliards de francs lors de l'introduction en Bourse. Mais Robert Louis-Dreyfus s'est vanté, dans une interview à «USA Today», d'avoir gagné 2,5 milliards de francs, sans risques, dans le rachat d'Adidas !
Encore fallait-il oser reprendre Adidas. Et savoir la redresser, là où Tapie avait échoué. Louis-Dreyfus et Tourres appliquent leur méthode. On taille à la hache, on délocalise, on pousse les feux sur la publicité. Robert Louis-Dreyfus demande à tout vérifier. Pas une chaussure qui ne passe sur son bureau avant sa commercialisation. Le moribond de Herzogenaurach ressuscite, reprend à Reebok la place de numéro deux mondial. Entre 1995 et 1996, le chiffre d'affaires bondit de 11,9 à 15,3 milliards de francs et le résultat net approche le milliard. Problème : devant sa montagne de jetons, le joueur de poker «s'emmerde». «Moi, la gestion au quotidien, je sais faire, mais ça m'ennuie.»
Prend-il l'OM par désoeuvrement ou parce qu'il ne peut s'empêcher d'enfiler les vêtements de Tapie que pourtant il exècre ? Louis-Dreyfus s'en défend : il a une vieille et vraie passion pour le sport en général et le football en particulier. Depuis 1974, tous les quatre ans, il prend régulièrement un mois de vacances pour assister à la Coupe du Monde de Football. Le voilà justement confronté à deux défis à sa mesure : la Coupe de 1998 en France et la reprise de l'Olympique de Marseille. «Il a fait de la Coupe en France une affaire personnelle», dit un cadre qui travaille sur les publicités Adidas. Sous la passion pointe aussi la raison. Car derrière le regard doux et les gestes souples se cache un redoutable businessman, capable des pires colères, qui a juré que Nike ne prendrait pas pied dans le football.
C'est aussi pourquoi il tente le pari risqué de l'OM : l'autre projet de reprise était piloté par IMG, tête de pont de McCormark. «Et IMG, lâche-t-il, c'était Nike.» Les Marseillais, eux, font peu à peu connaissance avec le nouveau président de l'OM. Le soir des incidents à l'issue de la rencontre Marseille-Nantes, en pleine furie, beaucoup ont été interloqués de le voir stoïque, une coupe à la main, arpenter les vestiaires. Lui découvre Marseille et ses légendes. «A côté de l'OM, Adidas c'est du petit-lait.» La greffe ne sera pas facile, il le sait. «On se cassera la gueule en essayant. Je vais peut-être m'y brûler comme un papillon mais tant pis ! »
Christophe Bouchet
Interesting, nan ?