26-09-2013, 22:37
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Bouli était encore entré sans frapper. Au début je n’ai pas bien saisi l’objet de sa visite. Il était tremblant, tout rouge et hors d’haleine, me crachotant un mot entre deux dyspnées pareil à un type qui a bu la tasse. Pas facile à suivre le Bouli, cependant en rajoutant mentalement des verbes basiques à cette conversation en puzzle, je compris qu’il avait dû monter à pied parce que l’ascenseur était en panne.
Je lui rétorquais que cette boite d’allumette antédiluvienne devait être changée depuis longtemps, et que ce n’était pas un scoop qui valait un infarctus du myocarde. De plus j’avais un édito à écrire. Sur ce, je fis pivoter ma chaise d’un demi-tour pour refaire face à mon écran.
-« … Ah… J’ai… trou…, continua-t-il.
Je l’écoutais à moitié, concentré sur mon affaire d’édito. L’idée tournait autour de la jungle du monde footballistique. Le rapt du jeune lorientais pour 5 Millions dans les dernières heures du mercato et la stratégie paradoxale de l’OM, qui pour tenter de jouer dans la cour des grands, s’était mis en tête de piller les pouponnières de ligue1.
Dans mon dos Bouli insistait.
-« Trou…vé … trouvé un… Ah ! »
- Un Ah quoi ? Dis-je sans me retourner.
- Bé...
-Un abbé ? Répondis-je machinalement tout en tapotant sur mon clavier. J’imaginais un titre pour l’édito « La Guerre des Poupons ».
-Non, non… Petit… un pe… Ah !
-Un abbé nain ?
-Non…un bé…Ah !
-Bon t’accouche ! Lançai-je en me retournant vers lui.
Renonçant à prononcer le mot, Bouli, tout en s’épongeant le front, déplaça sa carcasse imposante sur le coté me laissant la vue sur le corridor d’entrée.
Un bébé ! Oui, comme je vous le dit, un bébé dans un couffin.
Un maxi-cosi plutôt. Le truc « must have » qu’on se précipite d’acquérir quand on est un jeune couple trentenaire fier d’avoir perpétué l’espèce humaine. Suivra l’achat compulsif en pack familial, de couches anti fuites, tétines anti coliques et autres bavoirs anti bactériens histoire d’être des parents anti-stress et histoire aussi d’enrichir l’industrie post natale sur le segment porteur des déjections orales et anales ou comment transformer en or le pipi caca de nos progénitures.
Trêve de digressions…
Bouli me raconta qu’il avait trouvé l’enfant sur son palier en rentrant de la supérette.
Le bébé était seul en travers de sa porte. Personne d’autre.
Ni papa, ni maman, ni papy, mamy, oncle, tante, cousin, rien, ni famille éloignée, personne… Non personne! m’a-t-il juré.
Juste un bébé abandonné devant son paillasson, même que, chargé de Knaki Balls pour le match de ce soir, il avait failli shooter dans le couffin
Il ne savait pas quoi en faire, c’était tout bonnement pas cartésien qu’il me répétait. Bouli était perdu. Il se demandait pourquoi lui (en pointant le bébé), pourquoi lui (en pointant son bide), il invoquait des puissances mystiques et le passage des cigognes, le dieu de Moïse et tout le tremblement.
Un flux de questions se bousculait au péage de la réflexion Boulienne. Un embouteillage qui créait immanquablement une surchauffe cérébrale propice aux délires les plus fumeux.
-Faut l’emmener aux flics, proposais-je dans un élan de bon sens citoyen couplé d’un lavage de main Ponce-Pilatien.
-« Les Flics ? Comment ça les flics? S’interrogea-t-il.
-Ben Oui ! La police quoi !
-« Alors tu crois que c’est un délinquant ? Déjà ? Un terroriste si ça se trouve ?
Je restais sans voix
J’ai lu qu’ils recrutaient parmi des très jeunes… Un bébé martyr avec une bombe planquée dans la grenouillère ? » Poursuivit-il totalement paniqué.
-Non Bouli, c’est juste que…
Une vague de décibels anxiogènes se déversa soudain jusque dans mon bureau.
Un vagissement strident, un son bien perché dans les aigus me vrilla l’oreille interne comme si elle fût soudainement habitée par un porc épic en furie. Je me figurais tour à tour une sirène de pompier new-yorkais, une alerte tsunami, un branle-bas de combat nucléaire.
Bouli me fixait les yeux exorbités, j’avais exactement la même expression.
Le cri venu de l’intérieur du couffin nous avait littéralement statufiés.
-Ca va exploser, dit Bouli en se jetant au sol les mains sur les tempes.
La stupeur passée. Je décidais d’aller voir de plus près. A l’instar de Bagheera découvrant Mowgli je m’approchais du couffin à pas feutrés. L’analogie s’étendait à Bouli qui regardait la scène d’un œil inquiet, recroquevillé sous mon bureau, tel Baloo planqué derrière des lianes de câbles d’ordi.
Le bébé hurlait sans discontinuer.
Pourquoi se mettre dans un tel état de rage petit homme?
Ce ne pouvait-être la guerre au proche orient, le chômage de masse, l’art de l’opinion selon tweeter, ou les centres de Rod Fanni. Pas d’avantage la fonte des pôles, les pop-up publicitaires d’OpiOM, ni l’infidélité de Pénélope j’imagine !
Restait dans le désordre: La douleur. L’abandon. La faim.
J’optais pour un mix de ces revendications, soit : L’Abandon de la Douleur de la Faim. Et le tout dans les plus brefs délais.
-Faut lui donner à bouffer ! Tonnai-je à Baloo toujours planqué sous le bureau.
-Hein ? Beugla-t-il à son tour.
Je lui fis le signe du miam-miam en mimant la béquée avec mes doigts.
-Tu crois vraiment que c’est le moment d’aller se faire un Kebab ? Me répondit Bouli.
-Pas nous. Lui ! (Je ne ponctuais pas ma phrase par : Imbécile ! Mais c’est tout comme.)
-Tu crois qu'il aime les Knakis ? J’en ai plein le frigo. Proposa-t-il, en s’extirpant de sous la table à tréteaux.
-Il n’a pas de dent, tu vois bien.
-En purée, c’est bon aussi ?
-Du lait ce serait mieux. Affirmai-je.
Le petit s’égosillait de plus belle.
-Perso j’ai total arrêté les produits laitiers. Trop gras (qu’il me dit).
-Moi non plus j’ai pas de lait, suis allergique.
-Ah mince ! Ben alors comment t’as fait pour être bébé ? S’inquiéta-t-il.
-Allaité au sein.
Bouli arqua une moue de dégoût.
- Hors de question. Ne compte pas sur moi ! Dit-il en croisant ses bras sur sa poitrine.
Sans m’étendre de trop sur les différences métaboliques entre homme et femme je lui expliquais que ni lui, ni moi, ne pourrions jamais donner la tétée. Et pour ce qui nous préoccupait, la seule solution était certainement d’aller en pharmacie.
-Faut absolument les seins d’une pharmacienne ?
-Du lait en poudre spécial bébé. Imbécile ! Dis-je (cette fois j’ai craqué).
Le plan était qu’il filerait à la pharmacie pendant que je tenterais de calmer l’enfant. Je lui tendis un billet de 20. Il m'en taxa 20 de plus, au cas où le cours du lactose lyophilisé se serait envolé. Mon cul, je connaissais l’animal, il en profiterait pour faire un détour par le Mac Do.
Pendant ce temps le bambin m’a mis la misère.
Dodo l’enfant do, tu parles.
Pas dodo du tout, sans parler de reflux gastriques sur mon T-shirt et de relents nauséabonds à chaque fois que je le soulevais. Il aurait bientôt la couche pleine. Moi aussi.
J’ai tout essayé, le mettre sur le ventre, le coté, le dos, la tête en bas, en haut, de travers, gauche, droite, des grattouillis, gazouillis, guiliguilis, des massages abdominaux, des comptines improbables…
La Misère, je vous dit.
Bouli revint enfin alors que j’attaquais le refrain du Tirelipimpon avec le marmot dans mes bras.
Tirelipimpon sur le chihuahua…
De prime abord Bouli me considéra avec un rictus gêné avant de brandir fièrement la poche estampillée d’un caducée. Il en extirpa un baril de lait en poudre premier âge et me confirma que même pour 2 billets de 20, la pharmacienne n’avait malheureusement pas voulu prêter ses seins.
-Je déconne, précisa-t-il.
Le bébé brailla de nouveau. Je repris illico:
« Tirelipimpon sur le chihuahua…
Tirelipimpon avec la tête avec les bras.
-Non pas ça steuplait ! Supplia Bouli.
-« Toi, va plutôt faire chauffer de l’eau. Sommais-je à Bouli.
Tirelipimpon…
En même temps c’est le seul truc qui avait l’air de le calmer un peu. Je me rappelais subitement que Carlos était le fils de Françoise Dolto. Cela faisait sens en fait.
Tirelipimpon
Tirelipimpon un coup en l'air un coup en bas.
Mais… Au fait ? M’interrompis-je tout à coup en voyant l’eau frémir.
On va lui donner comment ce punaise de lait ? ».
Bouli me fit signe d’attendre, style j’ai pensé à tout, et extirpa de la poche de son infâme pantacourt une paille coudée de chez Mac DO.
Et donc ? Comment avait-il imaginé pouvoir faire boire un bébé avec une paille ?
Peut-être croyait-il que le gamin était la réincarnation de Tony Montana et qu’il snifferait le lait en poudre sur la table basse… Passons.
On a d’abord essayé de mettre le lait dilué dans des sacs congélation et d’en faire des berlingots avec un coin coupé. Echec. Le lait coulait trop vite ou pas assez. En tous cas le bébé n’ingurgita quasiment rien et se remit à pleurer de plus belle. Il y avait du lait partout sauf dans son estomac. Un désastre…
Que faire bordel de bouse ?
J’eus une illumination et refilai le bébé hurleur à Bouli en insistant sur le fait de continuer à chanter. Il refusa tout net, offusqué. Contre sa religion qu’il me dit. Sur mes injonctions répétées, Bouli finit par entonner Big Bisou. Lui grand fan de Soul de la période Stax Record. Ce fut comme cracher sur une bible, brûler un crucifix, le blasphème ultime. Il me jura de ne jamais le répéter. Pour l’heure j’avais autre chose à faire que me préoccuper de sa bonne conscience mélomane.
Je bricolais vite fait un biberon avec une mini-bouteille d’eau minérale et, à la guerre comme à la guerre, un préservatif scotché en guise de tétine. Bouli trouva ça super intelligent, je gardais pour moi que l’idée venait d’un doc animalier sur l’allaitement de suricates orphelins. Ou de marcassins j’sais plus. Lors de mes insomnies à attendre Pénélope, je m’en étais tapé des heures de ces programmes de nuit à la con.
Il me fallut plusieurs essais mais je finissais par percer proprement l’embout du préservatif avec une pointe chauffée. Tant mieux parce que Bouli maitrisait mal le répertoire de Carlos et les hurlements du petit avaient atteint des hauteurs paroxysmiques. Son visage virait au violet. Le pauvre n’était pas loin de la suffocation.
Bref, ça urgeait gravement.
Je préfère manger à la cantine
Avec les copains et les copines
On a fait ça de conserve. Le bébé couché entre les bras de Bouli, j’approchais délicatement le biberon de fortune de son organe buccal grand ouvert.
Je préfère manger à la cantine
Même si le beurre c´est d´la margarine…
Ca marchait du tonnerre.
On s’est arrêté de chanter aussi sec.
Le petit tétait allégrement et se lovait contre le torse rebondi de Bouli en serrant ses petits poings de plaisir. Ce gros benêt en avait la larme à l’œil. Je respirais en remerciant 30 millions d’amis.
Le calme était revenu, une douce sérénité envahit tout à coup la cuisine américaine sans dessus-dessous, constellée de lait en poudre, le sol jonché de bouteille en plastique et de capotes anglaises déchiquetées. C’est là que les Flics ont débarqué.
La voisine de Bouli, une mère célibataire, avait accouché de jumeaux cet été. Mario et Florian. Et vu la taille conjuguée de l’ascenseur et celle de sa poussette-tandem, elle ne pouvait les trimballer qu’un par un.
Le hic est que ce damné ascenseur s’est retrouvé encore en rade. Coincé entre les étages alors qu’elle remontait son second marmot. La sonnette de secours HS aussi. Appel des pompiers avec son portable, dépanneurs et tout le toutim.
Le temps qu’on vienne l’aider, Bouli avait récupéré le bébé laissé lors du premier voyage. Voilà l’explication.
Bien sûr les flics se sont pointés aussi. Les types ont commencé dare-dare à tambouriner à tous les étages. Ce fût assez trivial de remonter jusqu’à nous.
Mais, l’histoire ne s’arrête pas là.
On s’est retrouvé au poste avec Bouli. L’officier de police un peu zélé s’est cru en présence de deux dangereux kidnappeurs d’enfant et nous a collé en garde à vue.
Il en tenait pour preuve mes écrits où apparaissait la somme de 5 millions d’Euros, ce qui signifiait indubitablement une demande de rançon imminente. Mon ordi avait était saisi et le disque dur serait décrypté octet par octet. La confusion entre Carlos et la menace terroriste évoquée par Bouli n’arrangea pas nos affaires.
Bref, le flic zélé se voyait déjà démanteler tout un réseau de voleur d’enfant. Le gars suspectait même une complicité avec la pharmacienne, qui bien sûr niait tout en bloc. Sans parler de ce chantier retrouvé dans ma cuisine. Poudre blanche en sachet, paille, capote, aiguille chauffée…un vrai repaire de junkies. Bien sûr, toutes ces substances étaient en voie d’analyse. Le résultat risquait d’être stupéfiant, ironisa-t-il.
J’ai moi aussi esquissé un sourire, jubilant à l’idée de la tête de son chef de service devant un rapport de la police scientifique, qui avait coûté un œil, détaillant la composition du lait en poudre pour nourrisson.
L’officier zélé rajouta en dodelinant du chef qu’il était écœuré par notre attitude. S’en prendre à ce petit Mario. Un enfant, un nouveau né.
Nous étions sans morale. Des monstres sans foi ni loi. Vraiment.
Avec ses traits émaciés de mormon, son regard clair et limpide de puriste, son phrasé cassant de donneur de leçon, l’officier m’a fait penser à quelqu’un.
Le monde devenait une jungle et nous étions selon lui, des prédateurs de la pire espèce.
Il ne croyait pas si bien dire, une vieille panthère désabusée, et un gros nounours à la ramasse. C’était bien le livre de la jungle.
Ca y est ! L’officier de police, je le remettais ! Le gars ressemblait comme deux gouttes de lait à l’entraineur des Merlus. Son sosie ou quasi.
Drôle de coïncidence me direz vous, pourtant c’est bien la seule que j’ai pu trouvée avec le match de ce soir.
Fly
Desolé j'ai fait un peu long.
Du coup j'ai posté plus tot, en plus avec tous ces éditorialistes clandestins à l'affût, je me méfie
Bien sûr je vous laisse parler du match .
Bouli était encore entré sans frapper. Au début je n’ai pas bien saisi l’objet de sa visite. Il était tremblant, tout rouge et hors d’haleine, me crachotant un mot entre deux dyspnées pareil à un type qui a bu la tasse. Pas facile à suivre le Bouli, cependant en rajoutant mentalement des verbes basiques à cette conversation en puzzle, je compris qu’il avait dû monter à pied parce que l’ascenseur était en panne.
Je lui rétorquais que cette boite d’allumette antédiluvienne devait être changée depuis longtemps, et que ce n’était pas un scoop qui valait un infarctus du myocarde. De plus j’avais un édito à écrire. Sur ce, je fis pivoter ma chaise d’un demi-tour pour refaire face à mon écran.
-« … Ah… J’ai… trou…, continua-t-il.
Je l’écoutais à moitié, concentré sur mon affaire d’édito. L’idée tournait autour de la jungle du monde footballistique. Le rapt du jeune lorientais pour 5 Millions dans les dernières heures du mercato et la stratégie paradoxale de l’OM, qui pour tenter de jouer dans la cour des grands, s’était mis en tête de piller les pouponnières de ligue1.
Dans mon dos Bouli insistait.
-« Trou…vé … trouvé un… Ah ! »
- Un Ah quoi ? Dis-je sans me retourner.
- Bé...
-Un abbé ? Répondis-je machinalement tout en tapotant sur mon clavier. J’imaginais un titre pour l’édito « La Guerre des Poupons ».
-Non, non… Petit… un pe… Ah !
-Un abbé nain ?
-Non…un bé…Ah !
-Bon t’accouche ! Lançai-je en me retournant vers lui.
Renonçant à prononcer le mot, Bouli, tout en s’épongeant le front, déplaça sa carcasse imposante sur le coté me laissant la vue sur le corridor d’entrée.
Un bébé ! Oui, comme je vous le dit, un bébé dans un couffin.
Un maxi-cosi plutôt. Le truc « must have » qu’on se précipite d’acquérir quand on est un jeune couple trentenaire fier d’avoir perpétué l’espèce humaine. Suivra l’achat compulsif en pack familial, de couches anti fuites, tétines anti coliques et autres bavoirs anti bactériens histoire d’être des parents anti-stress et histoire aussi d’enrichir l’industrie post natale sur le segment porteur des déjections orales et anales ou comment transformer en or le pipi caca de nos progénitures.
Trêve de digressions…
Bouli me raconta qu’il avait trouvé l’enfant sur son palier en rentrant de la supérette.
Le bébé était seul en travers de sa porte. Personne d’autre.
Ni papa, ni maman, ni papy, mamy, oncle, tante, cousin, rien, ni famille éloignée, personne… Non personne! m’a-t-il juré.
Juste un bébé abandonné devant son paillasson, même que, chargé de Knaki Balls pour le match de ce soir, il avait failli shooter dans le couffin
Il ne savait pas quoi en faire, c’était tout bonnement pas cartésien qu’il me répétait. Bouli était perdu. Il se demandait pourquoi lui (en pointant le bébé), pourquoi lui (en pointant son bide), il invoquait des puissances mystiques et le passage des cigognes, le dieu de Moïse et tout le tremblement.
Un flux de questions se bousculait au péage de la réflexion Boulienne. Un embouteillage qui créait immanquablement une surchauffe cérébrale propice aux délires les plus fumeux.
-Faut l’emmener aux flics, proposais-je dans un élan de bon sens citoyen couplé d’un lavage de main Ponce-Pilatien.
-« Les Flics ? Comment ça les flics? S’interrogea-t-il.
-Ben Oui ! La police quoi !
-« Alors tu crois que c’est un délinquant ? Déjà ? Un terroriste si ça se trouve ?
Je restais sans voix
J’ai lu qu’ils recrutaient parmi des très jeunes… Un bébé martyr avec une bombe planquée dans la grenouillère ? » Poursuivit-il totalement paniqué.
-Non Bouli, c’est juste que…
Une vague de décibels anxiogènes se déversa soudain jusque dans mon bureau.
Un vagissement strident, un son bien perché dans les aigus me vrilla l’oreille interne comme si elle fût soudainement habitée par un porc épic en furie. Je me figurais tour à tour une sirène de pompier new-yorkais, une alerte tsunami, un branle-bas de combat nucléaire.
Bouli me fixait les yeux exorbités, j’avais exactement la même expression.
Le cri venu de l’intérieur du couffin nous avait littéralement statufiés.
-Ca va exploser, dit Bouli en se jetant au sol les mains sur les tempes.
La stupeur passée. Je décidais d’aller voir de plus près. A l’instar de Bagheera découvrant Mowgli je m’approchais du couffin à pas feutrés. L’analogie s’étendait à Bouli qui regardait la scène d’un œil inquiet, recroquevillé sous mon bureau, tel Baloo planqué derrière des lianes de câbles d’ordi.
Le bébé hurlait sans discontinuer.
Pourquoi se mettre dans un tel état de rage petit homme?
Ce ne pouvait-être la guerre au proche orient, le chômage de masse, l’art de l’opinion selon tweeter, ou les centres de Rod Fanni. Pas d’avantage la fonte des pôles, les pop-up publicitaires d’OpiOM, ni l’infidélité de Pénélope j’imagine !
Restait dans le désordre: La douleur. L’abandon. La faim.
J’optais pour un mix de ces revendications, soit : L’Abandon de la Douleur de la Faim. Et le tout dans les plus brefs délais.
-Faut lui donner à bouffer ! Tonnai-je à Baloo toujours planqué sous le bureau.
-Hein ? Beugla-t-il à son tour.
Je lui fis le signe du miam-miam en mimant la béquée avec mes doigts.
-Tu crois vraiment que c’est le moment d’aller se faire un Kebab ? Me répondit Bouli.
-Pas nous. Lui ! (Je ne ponctuais pas ma phrase par : Imbécile ! Mais c’est tout comme.)
-Tu crois qu'il aime les Knakis ? J’en ai plein le frigo. Proposa-t-il, en s’extirpant de sous la table à tréteaux.
-Il n’a pas de dent, tu vois bien.
-En purée, c’est bon aussi ?
-Du lait ce serait mieux. Affirmai-je.
Le petit s’égosillait de plus belle.
-Perso j’ai total arrêté les produits laitiers. Trop gras (qu’il me dit).
-Moi non plus j’ai pas de lait, suis allergique.
-Ah mince ! Ben alors comment t’as fait pour être bébé ? S’inquiéta-t-il.
-Allaité au sein.
Bouli arqua une moue de dégoût.
- Hors de question. Ne compte pas sur moi ! Dit-il en croisant ses bras sur sa poitrine.
Sans m’étendre de trop sur les différences métaboliques entre homme et femme je lui expliquais que ni lui, ni moi, ne pourrions jamais donner la tétée. Et pour ce qui nous préoccupait, la seule solution était certainement d’aller en pharmacie.
-Faut absolument les seins d’une pharmacienne ?
-Du lait en poudre spécial bébé. Imbécile ! Dis-je (cette fois j’ai craqué).
Le plan était qu’il filerait à la pharmacie pendant que je tenterais de calmer l’enfant. Je lui tendis un billet de 20. Il m'en taxa 20 de plus, au cas où le cours du lactose lyophilisé se serait envolé. Mon cul, je connaissais l’animal, il en profiterait pour faire un détour par le Mac Do.
Pendant ce temps le bambin m’a mis la misère.
Dodo l’enfant do, tu parles.
Pas dodo du tout, sans parler de reflux gastriques sur mon T-shirt et de relents nauséabonds à chaque fois que je le soulevais. Il aurait bientôt la couche pleine. Moi aussi.
J’ai tout essayé, le mettre sur le ventre, le coté, le dos, la tête en bas, en haut, de travers, gauche, droite, des grattouillis, gazouillis, guiliguilis, des massages abdominaux, des comptines improbables…
La Misère, je vous dit.
Bouli revint enfin alors que j’attaquais le refrain du Tirelipimpon avec le marmot dans mes bras.
Tirelipimpon sur le chihuahua…
De prime abord Bouli me considéra avec un rictus gêné avant de brandir fièrement la poche estampillée d’un caducée. Il en extirpa un baril de lait en poudre premier âge et me confirma que même pour 2 billets de 20, la pharmacienne n’avait malheureusement pas voulu prêter ses seins.
-Je déconne, précisa-t-il.
Le bébé brailla de nouveau. Je repris illico:
« Tirelipimpon sur le chihuahua…
Tirelipimpon avec la tête avec les bras.
-Non pas ça steuplait ! Supplia Bouli.
-« Toi, va plutôt faire chauffer de l’eau. Sommais-je à Bouli.
Tirelipimpon…
En même temps c’est le seul truc qui avait l’air de le calmer un peu. Je me rappelais subitement que Carlos était le fils de Françoise Dolto. Cela faisait sens en fait.
Tirelipimpon
Tirelipimpon un coup en l'air un coup en bas.
Mais… Au fait ? M’interrompis-je tout à coup en voyant l’eau frémir.
On va lui donner comment ce punaise de lait ? ».
Bouli me fit signe d’attendre, style j’ai pensé à tout, et extirpa de la poche de son infâme pantacourt une paille coudée de chez Mac DO.
Et donc ? Comment avait-il imaginé pouvoir faire boire un bébé avec une paille ?
Peut-être croyait-il que le gamin était la réincarnation de Tony Montana et qu’il snifferait le lait en poudre sur la table basse… Passons.
On a d’abord essayé de mettre le lait dilué dans des sacs congélation et d’en faire des berlingots avec un coin coupé. Echec. Le lait coulait trop vite ou pas assez. En tous cas le bébé n’ingurgita quasiment rien et se remit à pleurer de plus belle. Il y avait du lait partout sauf dans son estomac. Un désastre…
Que faire bordel de bouse ?
J’eus une illumination et refilai le bébé hurleur à Bouli en insistant sur le fait de continuer à chanter. Il refusa tout net, offusqué. Contre sa religion qu’il me dit. Sur mes injonctions répétées, Bouli finit par entonner Big Bisou. Lui grand fan de Soul de la période Stax Record. Ce fut comme cracher sur une bible, brûler un crucifix, le blasphème ultime. Il me jura de ne jamais le répéter. Pour l’heure j’avais autre chose à faire que me préoccuper de sa bonne conscience mélomane.
Je bricolais vite fait un biberon avec une mini-bouteille d’eau minérale et, à la guerre comme à la guerre, un préservatif scotché en guise de tétine. Bouli trouva ça super intelligent, je gardais pour moi que l’idée venait d’un doc animalier sur l’allaitement de suricates orphelins. Ou de marcassins j’sais plus. Lors de mes insomnies à attendre Pénélope, je m’en étais tapé des heures de ces programmes de nuit à la con.
Il me fallut plusieurs essais mais je finissais par percer proprement l’embout du préservatif avec une pointe chauffée. Tant mieux parce que Bouli maitrisait mal le répertoire de Carlos et les hurlements du petit avaient atteint des hauteurs paroxysmiques. Son visage virait au violet. Le pauvre n’était pas loin de la suffocation.
Bref, ça urgeait gravement.
Je préfère manger à la cantine
Avec les copains et les copines
On a fait ça de conserve. Le bébé couché entre les bras de Bouli, j’approchais délicatement le biberon de fortune de son organe buccal grand ouvert.
Je préfère manger à la cantine
Même si le beurre c´est d´la margarine…
Ca marchait du tonnerre.
On s’est arrêté de chanter aussi sec.
Le petit tétait allégrement et se lovait contre le torse rebondi de Bouli en serrant ses petits poings de plaisir. Ce gros benêt en avait la larme à l’œil. Je respirais en remerciant 30 millions d’amis.
Le calme était revenu, une douce sérénité envahit tout à coup la cuisine américaine sans dessus-dessous, constellée de lait en poudre, le sol jonché de bouteille en plastique et de capotes anglaises déchiquetées. C’est là que les Flics ont débarqué.
La voisine de Bouli, une mère célibataire, avait accouché de jumeaux cet été. Mario et Florian. Et vu la taille conjuguée de l’ascenseur et celle de sa poussette-tandem, elle ne pouvait les trimballer qu’un par un.
Le hic est que ce damné ascenseur s’est retrouvé encore en rade. Coincé entre les étages alors qu’elle remontait son second marmot. La sonnette de secours HS aussi. Appel des pompiers avec son portable, dépanneurs et tout le toutim.
Le temps qu’on vienne l’aider, Bouli avait récupéré le bébé laissé lors du premier voyage. Voilà l’explication.
Bien sûr les flics se sont pointés aussi. Les types ont commencé dare-dare à tambouriner à tous les étages. Ce fût assez trivial de remonter jusqu’à nous.
Mais, l’histoire ne s’arrête pas là.
Epilogue
On s’est retrouvé au poste avec Bouli. L’officier de police un peu zélé s’est cru en présence de deux dangereux kidnappeurs d’enfant et nous a collé en garde à vue.
Il en tenait pour preuve mes écrits où apparaissait la somme de 5 millions d’Euros, ce qui signifiait indubitablement une demande de rançon imminente. Mon ordi avait était saisi et le disque dur serait décrypté octet par octet. La confusion entre Carlos et la menace terroriste évoquée par Bouli n’arrangea pas nos affaires.
Bref, le flic zélé se voyait déjà démanteler tout un réseau de voleur d’enfant. Le gars suspectait même une complicité avec la pharmacienne, qui bien sûr niait tout en bloc. Sans parler de ce chantier retrouvé dans ma cuisine. Poudre blanche en sachet, paille, capote, aiguille chauffée…un vrai repaire de junkies. Bien sûr, toutes ces substances étaient en voie d’analyse. Le résultat risquait d’être stupéfiant, ironisa-t-il.
J’ai moi aussi esquissé un sourire, jubilant à l’idée de la tête de son chef de service devant un rapport de la police scientifique, qui avait coûté un œil, détaillant la composition du lait en poudre pour nourrisson.
L’officier zélé rajouta en dodelinant du chef qu’il était écœuré par notre attitude. S’en prendre à ce petit Mario. Un enfant, un nouveau né.
Nous étions sans morale. Des monstres sans foi ni loi. Vraiment.
Avec ses traits émaciés de mormon, son regard clair et limpide de puriste, son phrasé cassant de donneur de leçon, l’officier m’a fait penser à quelqu’un.
Le monde devenait une jungle et nous étions selon lui, des prédateurs de la pire espèce.
Il ne croyait pas si bien dire, une vieille panthère désabusée, et un gros nounours à la ramasse. C’était bien le livre de la jungle.
Ca y est ! L’officier de police, je le remettais ! Le gars ressemblait comme deux gouttes de lait à l’entraineur des Merlus. Son sosie ou quasi.
Drôle de coïncidence me direz vous, pourtant c’est bien la seule que j’ai pu trouvée avec le match de ce soir.
Fly
Desolé j'ai fait un peu long.
Du coup j'ai posté plus tot, en plus avec tous ces éditorialistes clandestins à l'affût, je me méfie
Bien sûr je vous laisse parler du match .
En cas de morsure de vipère, sucez-vous le genou, ça fait marrer les écureuils