06-01-2023, 17:52
Le commandant de Police Tudor secoua encore une fois la tête l'air désenchanté. Il n'avait jamais vu ça en 30 ans de carrière dans sa filière. Il sortit un paquet de chewing-gums, l'ouvrit lentement et prit l'un d'eux en repensant à tout ce qu'il avait pu voir auparavant dans les stades. Après l'avoir sortie délicatement de son emballage en aluminium, il saisit la pâte à mâcher entre deux doigts et la roula dans un geste machinal. Mine de rien, cela l'aidait à réfléchir. Il fit deux fois le tour du petit cadavre cherchant comment le drame avait pu arriver. Tudor ferma les yeux quelques secondes. Quand il les rouvrit, il s'attarda sur la vision de la tribune nord de Francis Turcan. L'OM jouait sur cette pelouse dans à peine 24 heures et lui se devait d'élucider ce mystère avant l'arrivée de ces fouines de journalistes qui ne manqueraient pas de poser des questions embarrassantes à souhait. Directeur d'enquête rompu à l'exercice, il était certain que son suspect était tout près, parmi les gens encore présents sur le lieu du crime. Sa réflexion fut interrompue par le signe discret de son adjoint, le lieutenant Vukas, qui souhaitait vraisemblablement lui transmettre une information primordiale. L'homme, grand gaillard quinquagénaire d'origine hongroise, en imposait assez pour ne pas le faire patienter trop longtemps. Il prit son air très sérieux, celui qu'Igor Tudor connaissait trop bien, et débuta ses explications :
"- Bon Patron, celui qui a fait le coup est droitier. Il a tiré visiblement à courte distance et n'a pas maîtrisé la trajectoire de la balle ou s'est loupé dès le départ. Au flair, je dirais qu'il visait une zone située entre la lucarne là-bas et le pied du poteau. Rien ne laissait présager que la victime allait recevoir ce tir en pleine tête.
- Merci Vukas ! C'est clairement un geste peu maîtrisé qui a conduit au drame. Avons-nous des témoins ?" demanda Tudor.
- "Oui, quelques supporters de l'équipe de National 2 ! Ils sont venus guetter l'entraînement des pros et espéraient repartir avec un ou deux autographes. Il paraît que leur club n'a aucune chance contre les professionnels de l'OM ce week-end en 32èmes de finale de Coupe de France. C'est le club du Hyères FC. Ils se sont cachés derrière les grilles là-bas en dehors du stade.
- Ils ont vu quelque chose ?" répliqua le commandant.
- "De cet endroit là, on ne peut pas être assurés à 100 % de ce qu'ils disent avoir vu..." Vukas avait répondu de façon embarrassée et son supérieur surenchérit :
- "Continuez Vukas !" Il cessa de mâcher, l'air grave et montra son approbation d'un hochement de tête bien senti.
"- Individu d'origine africaine, 1m80 et environ 72 kg, il porterait des petites nattes sur la tête, qu'il regroupe en chignon. Pour l'instant, pas plus de détails sur le suspect Patron." Le lieutenant Vukas referma son petit calepin noir à spirales. En le voyant, Tudor se remémora des scènes où il écrivait sur un tel support. Mais d'où lui venaient ses souvenirs d'un coup et pour quelles raisons utiliserait-il ce genre d'aide-mémoire lui qui se sentait si infaillible dans son métier ? Il manageait ses équipes à l'ancienne, il fallait comprendre à la dure, mais toujours avec justice et un seul objectif : aller droit au but.
Un évènement inattendu l'extirpa de ses pensées : deux de ses brigadiers s'avançaient vers lui doucement, entourant un jeune homme répondant trait pour trait à la description dressée par Vukas. Fiers d'eux, les vieux de la vieille fine fleur de la Police marseillaise, Pascua et Rotondale, marchaient le sourire aux lèvres. Ils l'avaient menotté et, la tête basse, il cachait ses yeux derrière des petites locks aux bouts peroxydés.
"- Qui est-ce ?" s'enquit Tudor.
"- C'est lui Patron ! Il a tenté de s'échapper via la porte de secours des vestiaires. Il a encore son équipement d'entraînement sur lui." Rotondale désigna notamment le bas du corps du jeune homme, effectivement en short, bas et crampons moulés.
Le commandant de Police regarda le suspect et lui signifia de relever la tête d'un geste assuré de l'index de la main droite sur son menton. Ils se dévisagèrent un instant, puis calmement, le jeune international burkinabé prit la parole :
"- C'est moi m'sieur ! Mais c'était un accident ! J'ai voulu préparer l'éventuelle séance de tirs aux buts pour éviter le seum contre des joueurs de National...
- National 2 !" Igor l'avait coupé sèchement dans son élan. Il reprit :
"- ... Oui si vous voulez ! J'ai visé la lucarne droite mais mon pied est passé beaucoup trop sous le ballon. C'était un accident faut me croire ! " Il explosa, sanglotant et répétant sans cesse qu'il n'avait pas voulu le tuer. Il était incapable de poursuivre des explications. Elles seraient consignées plus tard lors de la garde à vue.
" Emmenez-le ! On poursuivra au poste ! Bon travail les gars." Tudor était avare en compliments avec ses troupes. Le garçon semblait en tout cas sincère dans ses déclarations et sa peine n'était pas feinte. Parole de flic.
"- Au fait c'est quoi son nom au gamin ?" demanda-t-il à ses collègues qui avaient tourné les talons avec le joueur incriminé.
"- C'est Kaboré chef ! Hicham ou Issam un truc du genre !" répondit Pascua.
Le commandant retourna près du petit corps étendu sur la pelouse du stade Francis Turcan. Un expert de la scientifique faisait les dernières constatations avant de procéder à quelques prélèvements. Le coup de ballon avait laissé la trace de la marque au puma comme gravée sur le plumage du gabian. Igor cracha son chewing-gum, comme désabusé, et souhaita de tout coeur qu'en cette nouvelle année de telles horreurs ne se reproduisissent pas. Il donna le feu vert à l'équipe scientifique pour emporter la dépouille de l'oiseau et s’en alla vers la sortie du stade.
Etait-ce un rêve ou un cauchemar ? Tudor se réveilla encore une fois en sueur en cette nuit de pleine lune. L'une de ces nuits étoilées, pas suffisamment froide pour greloter au sortir du lit mais assez pour ne pas avoir envie de s'aérer comme si souvent depuis le début de la saison.
"-Vivement que je signe à la Juve !" pensa-t-il en son for intérieur. Entraîneur de l'OM, ce n'était décidément pas une sinécure et il n'envisageait certainement pas de défaite face à Hyères en Coupe de France. L'élimination en Ligue des Champions avait déjà été assez douloureuse et le Président Longoria lui avait imposé un excellent parcours en coupe, sinon...
Igor se dirigea vers la table du salon où il laissait toujours son calepin noir à spirales. Il l'ouvrit à la page des tireurs potentiels lors d'une séance de tirs au but. Il effaça frénétiquement KABORE de sa liste. Il se jura tout de même de lui inculquer toute la détermination et toute la confiance possibles pour réussir à mener l'OM à la victoire avant les prolongations.
"- Cette année, la coupe est pour nous !" songea-t-il avant de refermer le carnet noir...
"- Bon Patron, celui qui a fait le coup est droitier. Il a tiré visiblement à courte distance et n'a pas maîtrisé la trajectoire de la balle ou s'est loupé dès le départ. Au flair, je dirais qu'il visait une zone située entre la lucarne là-bas et le pied du poteau. Rien ne laissait présager que la victime allait recevoir ce tir en pleine tête.
- Merci Vukas ! C'est clairement un geste peu maîtrisé qui a conduit au drame. Avons-nous des témoins ?" demanda Tudor.
- "Oui, quelques supporters de l'équipe de National 2 ! Ils sont venus guetter l'entraînement des pros et espéraient repartir avec un ou deux autographes. Il paraît que leur club n'a aucune chance contre les professionnels de l'OM ce week-end en 32èmes de finale de Coupe de France. C'est le club du Hyères FC. Ils se sont cachés derrière les grilles là-bas en dehors du stade.
- Ils ont vu quelque chose ?" répliqua le commandant.
- "De cet endroit là, on ne peut pas être assurés à 100 % de ce qu'ils disent avoir vu..." Vukas avait répondu de façon embarrassée et son supérieur surenchérit :
- "Continuez Vukas !" Il cessa de mâcher, l'air grave et montra son approbation d'un hochement de tête bien senti.
"- Individu d'origine africaine, 1m80 et environ 72 kg, il porterait des petites nattes sur la tête, qu'il regroupe en chignon. Pour l'instant, pas plus de détails sur le suspect Patron." Le lieutenant Vukas referma son petit calepin noir à spirales. En le voyant, Tudor se remémora des scènes où il écrivait sur un tel support. Mais d'où lui venaient ses souvenirs d'un coup et pour quelles raisons utiliserait-il ce genre d'aide-mémoire lui qui se sentait si infaillible dans son métier ? Il manageait ses équipes à l'ancienne, il fallait comprendre à la dure, mais toujours avec justice et un seul objectif : aller droit au but.
Un évènement inattendu l'extirpa de ses pensées : deux de ses brigadiers s'avançaient vers lui doucement, entourant un jeune homme répondant trait pour trait à la description dressée par Vukas. Fiers d'eux, les vieux de la vieille fine fleur de la Police marseillaise, Pascua et Rotondale, marchaient le sourire aux lèvres. Ils l'avaient menotté et, la tête basse, il cachait ses yeux derrière des petites locks aux bouts peroxydés.
"- Qui est-ce ?" s'enquit Tudor.
"- C'est lui Patron ! Il a tenté de s'échapper via la porte de secours des vestiaires. Il a encore son équipement d'entraînement sur lui." Rotondale désigna notamment le bas du corps du jeune homme, effectivement en short, bas et crampons moulés.
Le commandant de Police regarda le suspect et lui signifia de relever la tête d'un geste assuré de l'index de la main droite sur son menton. Ils se dévisagèrent un instant, puis calmement, le jeune international burkinabé prit la parole :
"- C'est moi m'sieur ! Mais c'était un accident ! J'ai voulu préparer l'éventuelle séance de tirs aux buts pour éviter le seum contre des joueurs de National...
- National 2 !" Igor l'avait coupé sèchement dans son élan. Il reprit :
"- ... Oui si vous voulez ! J'ai visé la lucarne droite mais mon pied est passé beaucoup trop sous le ballon. C'était un accident faut me croire ! " Il explosa, sanglotant et répétant sans cesse qu'il n'avait pas voulu le tuer. Il était incapable de poursuivre des explications. Elles seraient consignées plus tard lors de la garde à vue.
" Emmenez-le ! On poursuivra au poste ! Bon travail les gars." Tudor était avare en compliments avec ses troupes. Le garçon semblait en tout cas sincère dans ses déclarations et sa peine n'était pas feinte. Parole de flic.
"- Au fait c'est quoi son nom au gamin ?" demanda-t-il à ses collègues qui avaient tourné les talons avec le joueur incriminé.
"- C'est Kaboré chef ! Hicham ou Issam un truc du genre !" répondit Pascua.
Le commandant retourna près du petit corps étendu sur la pelouse du stade Francis Turcan. Un expert de la scientifique faisait les dernières constatations avant de procéder à quelques prélèvements. Le coup de ballon avait laissé la trace de la marque au puma comme gravée sur le plumage du gabian. Igor cracha son chewing-gum, comme désabusé, et souhaita de tout coeur qu'en cette nouvelle année de telles horreurs ne se reproduisissent pas. Il donna le feu vert à l'équipe scientifique pour emporter la dépouille de l'oiseau et s’en alla vers la sortie du stade.
Etait-ce un rêve ou un cauchemar ? Tudor se réveilla encore une fois en sueur en cette nuit de pleine lune. L'une de ces nuits étoilées, pas suffisamment froide pour greloter au sortir du lit mais assez pour ne pas avoir envie de s'aérer comme si souvent depuis le début de la saison.
"-Vivement que je signe à la Juve !" pensa-t-il en son for intérieur. Entraîneur de l'OM, ce n'était décidément pas une sinécure et il n'envisageait certainement pas de défaite face à Hyères en Coupe de France. L'élimination en Ligue des Champions avait déjà été assez douloureuse et le Président Longoria lui avait imposé un excellent parcours en coupe, sinon...
Igor se dirigea vers la table du salon où il laissait toujours son calepin noir à spirales. Il l'ouvrit à la page des tireurs potentiels lors d'une séance de tirs au but. Il effaça frénétiquement KABORE de sa liste. Il se jura tout de même de lui inculquer toute la détermination et toute la confiance possibles pour réussir à mener l'OM à la victoire avant les prolongations.
"- Cette année, la coupe est pour nous !" songea-t-il avant de refermer le carnet noir...
"Chevalier, tu as dit que tu crois en un monde où les frères nés sous une mauvaise étoile peuvent vivre ensemble et que tu te battrais pour le construire. Aujourd'hui, sache que moi aussi je partage ton rêve." Bud d'Alcor