09-05-2006, 14:19
Raymond,
Toi qui a la vue la plus aérienne possible de la ballonie, tu dois bien t'emmerder sur ton nuage. Aujourd'hui, plus qu'hier, courir après un bout d'cuir, c'est plus ce que c'était.
Après une saison Orange/Canal+/OLfootball, gorgées de non-performances, de circus maximus sur pelouse, de pantalonnades, on n'a finalement pas vu beaucoup de beau jeu. Il y a bien eu quelques coups d'éclats éphèmères, indispensables à la survie cardiaque des quelques passionnés de beau jeu, mais pas assez pour en faire un bon cru 2005/2006.
Alors, mon courage à deux pieds, j'ai pris la direction de la Belgique, par chez toi, du côté de Bruxelles, pour en avoir le coeur net, et me faire une opinion la plus subjective possible sur le football dit "moderne".
Après quelques pintes de Lambicus, de Sextus, de Triple Carmélite (mama, lâche la bénédictine, j'ai trouvé le sang du Christ à 9.5°), j'enchaine mes camarades bruxellois sur ce merveilleux monde des shorts millionnaires.
Première charge, mes premières vannes de la soirée, clairement Coluchiste, ne sont pas passées, et ils m'attaquent de front. On me demande le plus simplement du monde comment vont les joueurs de Lyon, l'air détaché, la mousse dégoulinant de la lèvre inférieure, cachant mal un rictus malsain, qui fera dégénérer la soirée plus tard. J'leurs explique qu'ils vont plutôt bien depuis une légère fessée à Gerland en Coupe de France, qu'ils ne sont pas si bons que ça finalement, puisque même Milan arrive à les battre. En gros, je m'enfonce joyeusement dans l'hypocrisie la plus totale. T'entends ça un peu ... 5 fois champion de France, et on ne parle plus que d'eux. Comme si c'était extraordinaire ... Nous aussi on l'a fait ... Et l'intertoto, on l'a gagnée quand même, le suisse est venu danser les cigares au pied, et la sandale aux lèvres. C'était magique ... pathétique ? Oui aussi un peu ...
Deuxième charge, uppercut mâchoire, on me signale le plus aimablement du monde qu'on a vraiment de très bon minots. J'aquiesce évidemment, ça a été l'un des moments les plus agréables de la saison. La pantalonnade de nos dirigeants les a bien fait rigoler, le comité d'éthique les a fait s'esclaffer, et quand j'ai dégainé l'argument "On a gagné en appel !", ils roulaient sous la table. Ils en sont persuadés, c'est une blague médiatique, juste pour faire monter la sauce piquante, pour s'amuser un tant soit peu dans un monde de bisounours en crampons, qui marquent moins de 2 buts par match. Bon, forcément Raymond, tu vas avoir du mal à l'croire, mais les joueurs de maintenant, ils ne cadrent plus. Ils n'ont plus envie, c'est beaucoup moins drôle que de courir, de rater son contrôle, d'enchainer une frappe du genou 20 mètres au-dessus de la tribune.
A ce moment de la soirée, j'ai voulu m'en aller. Trop dur d'encaisser tant de vérités, la carbonade flamande tournait sous mon maillot olympien. Flash spécial du côté du comptoir, les résultats du championnat de France défilent ! On me hèle pour que j'assiste à un évènement surréaliste : un pilier à l'haleine douteuse, une main sur mon épaule, l'autre indiquant cette petite étoile au-dessus de mon logo favori, me sussure " Pauv' gars, c'doit pô être facile d'aimer l'OM en c'moment". 2-2 à domicile, j'demande à ce qu'on règle l'image, le score doit être décalé avec une autre rencontre, c'est sûr. 4-0, le p'tit 1/4 de finaliste se fait étriller. J'm'interroge, j'lève le coude, j'descends ma bière, j'lâche une larme. Gros moment de solitude, grosse impression de déjà vu, finalement, j'vais peut-être m'y habituer. J'ai toujours une main aussi douteuse que l'odeur de son propiétaire sur l'épaule. Il se rapproche doucement, je m'écarte vivement, me rapproche de force, s'écarte pas : "T'inquiètes p'tiot, un jour l'Europe reparlera provençal, vous avez du ballon vous aut'."
J'transpire dans mon maillot, plus que Gimenez dans toute sa saison et je retourne m'assoir timidement attendant la prochaine salve. Il te ressemblait un peu Raymond cet habitué du tabouret du troquet, plein de bon sens, rassurant, chaleureux ... appréciant la bonne bière. Un concentré de fermentation sur 4 pieds.
Etrangement, ma détresse profonde devait transparaitre, parce qu'il n'y eut point de coup de grâce. Posément, on m'expliqua que c'était logique, Marseille aime la pression, mais ne la supporte pas. J'en commande une de pression. Le match de Lille était joué d'avance, Seydoux Frères ont des intérêts communs que mêmes les belges connaissent. J'insiste lamentablement sur la présomption d'innocence, même de pourris, sans preuve, qui peut dire que ... On m'arrête, et là, Raymond, le choc : "Mais le football n'existe plus !"
Coup de massue, un compatriote du sorcier belge, trilingue flamand/français/football, décrète que le football est mort !
Et là tout s'enchaine à une vitesse folle :
-Le championnat de France ne vaut rien
-Le championnat anglais blanchit l'argent sale
-Le championnat espagnol est un laboratoire vétérinaire
-Le championnat italien est une mafia
-Le championnat allemand est corrompu
Rassurant, mon interlocuteur, me trouvant interloqué, interpréta ma liquéfaction comme un dépucelage footballistique.
Des millionnaires en chaussettes, des boites à chaussures dans des jardins, des balances, des buisnessmans, des mafieux russes, des mercenaires, des arbitres corrompus, des matchs achetés, des arrangements ... C'est le sport avec un gros chèque. Le sport d'aujourd'hui.
Alors finalement, on peut se contenter de regarder les matchs, de couper le son pour éviter de haïr tous les Gilardi qui existent, et de s'extasier sur une passe réussie, sur une transversale improbable qui retombe dans les pieds, ou sur une parade involontaire d'un gardien peu concerné. Peut-être que ça suffira pour satisfaire les moins exigeants, et à 600 millions la saison, un décodeur, ça fera plaisir à Vivendi. Mince, ça recommence, même en coupant le son, les cliquetis boursiers reviennent hanter nos vestiaires.
Nouvelle pinte, on me console encore un peu "Par ch'nous, c'est pire, on est pourri jusqu'al möelle", abritres achetés, banqueroutes, paris truqués, championnat aussi insipide qu'une Jupiler, exils des meilleurs joueurs, il reste souriant quand même et j'admire son courage. Point de courage qu'il me rétorque, on se lasse pas de voir ces clowns rivaliser de stupidités saison après saison. Raymond, j'ai compris : Ce n'est plus le football qui fait vibrer, mais tout ce qu'il y a à côté ! L'argent, les magouilles, les médias, le dopage, c'est ça le football d'aujourd'hui !
600 millions pour des Ajaccio/Nantes (les canaris n'ont pas survécu), pour des pamphlets Eydeliesques, des insultes à l'intelligence quand Pierre Mondy s'exprime.
Aujourd'hui, lorsqu'on crache sur un arbitre pour un match amical, on prend 6 mois, quand on fait un salut nazi, on prend 10 000 euros d'amende.
Aujourd'hui, quand on lance un fumigène, on prend 15 000 euros d'amende, quand on lance des bananes à des joueurs africains, on se fait taper sur les doigts.
Aujourd'hui, quand on trouve une perle rare aux pieds magiques, c'est le joueur qui décide quand et où il veut partir, et si tu les formes, ils partiront sans te dire merci.
Aujourd'hui, quand on fait jouer des minots règlementairement, on fait la Une des médias, et quand un comité d'Ethique se fait désavouer, on affirme que c'est juste.
Chaque année, on souhaite la saison prochaine avec impatience. C'est le cycle du football, on le suit, on continue à l'aimer, mais je me demande de plus en plus ce que sera l'étape prochaine, et jusqu'où ce milieu aura l'audace d'aller dans l'absurdité, aussi rentable soit-elle.
Raymond, tu manques à tout le monde, mais finalement, tu as bien fait de partir, ils sont en train de labourer les terrains que tu aimais tant.