15-10-2004, 18:08
PORTRAIT
Monsieur foot
LE MONDE | 14.10.04
A 67 ans, Thierry Roland se prépare à céder la place à Thierry Gilardi sur TF1. Le commentateur sportif, apprécié pour sa gouaille ou critiqué pour ses dérapages, a assuré la couverture de 11 Coupes du monde et 1 300 matches.
Avachi dans un canapé de son appartement grand standing du 7e arrondissement de Paris, Thierry Roland bougonne. Quelques semaines viennent de passer depuis l'annonce, par TF1, de son remplacement par Thierry Gilardi (ex-Canal +) pour commenter les matches des Bleus à partir de 2005, et l'amertume le submerge. Au départ, pourtant, il avait plutôt "bien vécu" cette décision, répétant que le temps était venu de "laisser la place aux jeunes". Mais, ce matin-là, le propos est nettement plus nuancé. "Vous avez beau être connu, apprécié, vénéré, vous n'êtes d'abord qu'un numéro de matricule,lâche-t-il avec son inimitable accent de "titi" parisien. Je suis actuellement dans la même position qu'en mai 1968 quand on nous avait lourdés de la télévision, alors qu'on n'avait rien fait de mal, sinon manifester dans la rue comme des millions de Français. Là, on me pousse vers la sortie, alors que je n'ai pas commis d'erreur dans l'exécution de mon métier. Je pense que cela aurait pu être fait de manière plus adroite."
Thierry Roland a 67 ans. Il en avait 18 à ses débuts. C'était en 1955, il y a presque cinquante ans, et tout le problème est justement dans ce "presque". Féru de chiffres ronds et de symboles simples, le plus célèbre des commentateurs sportifs aurait aimé partir à l'issue de la saison de football en cours, c'est-à-dire à la mi-2005 : "J'aurais voulu dire au revoir moi-même aux gens, leur dire qu'on a eu une aventure formidable qui a duré cinquante ans, qu'il ne faut pas avoir de regrets, et ciao, à la prochaine !"
TF1 ne l'a pas totalement évincé de son antenne, puisqu'il continuera de suivre la Coupe de France. Il commentera également un match du championnat anglais une fois par semaine sur le bouquet TPS. Mercredi 17 novembre, il sera néanmoins au micro pour son dernier match des Bleus : un France-Pologne amical sans grande saveur. "J'ai l'impression que ça se termine en eau de boudin", maugrée l'homme aux 11 Coupes du monde et aux plus de 1 300 matches commentés en direct.
Garder sa langue dans sa poche : même après un demi-siècle d'antenne, ou peu s'en faut, Thierry Roland ne sait pas faire. Ses détracteurs trouveront peut-être, dans cette inclinaison à exprimer ce qu'il pense à voix haute, l'origine de célèbres dérapages. Pour avoir - entre autres - traité un arbitre de "traître ", reproché à un autre d'être tunisien ou encore affirmé que "rien ne ressemble plus à un Coréen qu'un autre Coréen", Thierry Roland a souvent été présenté comme un individu raciste, franchouillard, chauvin, poujadiste... Une sorte de super-beauf, doublé d'un misogyne, si l'on se réfère à quelques déclarations sur la gent féminine.
Lui demander des explications sur chacune de ses bourdes est inutile. Rompu à l'exercice, il a réponse à tout. Et de jurer qu'il n'est bien sûr pas raciste et qu'il n'a jamais prétendu que le "football se joue avec du poil aux pattes et au menton". D'affirmer que l'allusion au physique des joueurs coréens n'était "pas méchante". S'il admet être parfois "maladroit" dans ses formulations, il préfère mettre ses bévues sur le compte du direct et de ses risques. Ainsi cette injure fondatrice ("Monsieur Foote, vous êtes un traître !"), lancée à l'arbitre écossais Ian Foote lors du match Bulgarie-France (2-2) de 1976 : "Quand il siffle ce penalty totalement injustifié contre nous, je cherche un mot pour stigmatiser mon courroux, se souvient Thierry Roland. Je cherche un mot qui est dans le dictionnaire. Mon idée, c'est de le traiter d'enculé, mais je ne peux pas... Quand vous êtes en direct, il faut que les mots accompagnent votre pensée, c'est pas évident."
M. Foote, le presque bien-nommé, deviendra donc le plus célèbre "traître " de l'histoire de ce sport. Une vingtaine de sacs postaux arriveront à la rédaction d'Antenne 2. "Des lettres de soutien, pour 99,9 % d'entre elles. J'ai fait l'union sacrée : il y avait des députés de droite, de gauche, des ouvriers... Tous m'écrivaient pour me dire que j'avais eu raison", avance Thierry Roland, non sans une certaine fierté. Un journaliste s'exprimant devant plusieurs millions de téléspectateurs n'est-il pas garant d'une certaine responsabilité ? "On ne peut pas me demander de mesurer la portée de ce que je vais dire", répond-il, sans ciller.
Irresponsable, Thierry Roland ? L'un de ses meilleurs amis, le journaliste Jacques Vendroux, n'est pas loin de soutenir cette thèse. "Thierry se complaît dans un rôle d'enfant attardé, indique le directeur des sports du groupe Radio France. Il a été élevé sur les Champs-Elysées dans un cocon richissime et il n'a pas galéré dans son existence. Un peu comme moi, qui suis rentré à la radio par piston grâce à mon père député, c'est un gâté de la vie. Tout cela a rendu Thierry insouciant, un peu irresponsable. Il n'a pas de limites."
Ce côté "grand enfant" est palpable sitôt franchie la porte de son appartement. Sur un mur, une invraisemblable galerie de photos dédicacées, achetées à prix d'or : Marilyn Monroe, Cary Grant, Frank Sinatra, Humphrey Bogart, Lauren Bacall... Sur une étagère, la collection complète du magazine France-Football, créé en 1946. Dans une pièce, une armoire entière de petites voitures. Ailleurs, des bandes dessinées (XIII, Largo Winch...) et une télévision gigantesque devant laquelle il peut rester, des journées entières, à regarder du sport. Le maître de maison est un casanier incurable. Et s'il lui arrive de partir, aux vacances, à Las Vegas, c'est pour assouvir sa passion du jeu. Un penchant qui fait aussi de lui un gagnant régulier au Loto sportif.
Son complice d'antenne, Jean-Michel Larqué, avec lequel il a commenté mercredi 13 octobre le match Chypre-France, le range dans un monde qui n'est pas celui des adultes. "En déplacement, Thierry nous pose sans cesse les mêmes questions : à quelle heure mange-t-on ? A quelle heure se lève-t-on ? Il lui faut constamment des repères, comme un enfant angoissé qui aurait peur que ses parents l'abandonnent." La journaliste Marianne Mako, qui fut sa collègue à TF1, ne le décrit pas sous un autre angle, malgré le conflit qui les opposa un jour sur fond de misogynie : "Peu de temps après avoir écrit un livre dans lequel il m'avait diffamée, le service des sports avait organisé un séminaire. Je me souviens qu'il rasait les murs, comme un petit garçon craignant de recevoir une taloche. D'ailleurs, j'aurais peut-être dû lui en mettre une", se souvient-elle en souriant.
Comme Peter Pan, Thierry Roland donne l'impression d'avoir, un jour, décidé d'arrêter de grandir. Ce jour est peut-être celui de la mort de son père, en 1946. L'enfant a alors 9 ans, et l'homme qui s'éteint, emporté par une méningite foudroyante, est presque un inconnu pour lui. "Je suis né en 1937, et mon père est parti dans l'armée de l'air en 1940,raconte-t-il. Quand il revient à la maison, fin 1945, c'est comme si je le découvrais. Il reprend son métier de bijoutier, travaille toute la journée, ce qui fait que je ne le vois pratiquement pas." Cette absence le hantera toute sa vie. "J'aurais aimé conserver le souvenir de sa voix dans mon oreille, confie-t-il. J'ai le bruit des bottes des occupants allemands sur les Champs-Elysées, mais pas la voix de mon père. Ça m'a énormément manqué et ça me manque toujours."
Bac en poche, plutôt que de reprendre la bijouterie familiale, Thierry Roland décide de devenir saltimbanque. Il frappe à la porte de la RTF (Radiodiffusion et Télévision française), où Georges Briquet l'embauche. Le sport le passionne. Surtout le foot, qu'il a pratiqué au Racing, même s'il ne fut qu'un "bourrin". A la radio et à la télévision, il se découvrira plusieurs modèles : Roger Couderc, Robert Chapatte, François Janin... Autant de "pères par substitution", dont il pleure encore la disparition. De l'enfance, Thierry Roland a conservé une sensibilité à fleur de peau. A chaque fois qu'une de ses idoles disparaît (Dalida, Lino Ventura, Jacques Brel, Jean Yanne...), il s'enferme chez lui, prostré et sanglotant. A chaque fois que ses films préférés sont diffusés, comme Une place au soleil, avec Elizabeth Taylor et Montgomery Clift (1951), ou L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux (Robert Redford, 1998), il écrase une larme, "toujours aux mêmes moments". "J'ai un caractère d'enfant, je le revendique, assume-t-il. Mais est-ce que c'est mal ? On voit tellement de choses épouvantables dans le monde !"
Enfant, il l'est également au micro, en s'autorisant bien des libertés. Ainsi cette blague de potache que peu de gens connaissent : dès que le soigneur d'une équipe étrangère pénètre sur la pelouse, le duo Roland-Larqué l'affuble du même patronyme : Tortori s'il est italien, Tortores s'il est espagnol, Tortorov s'il est bulgare... Un clin d'½il destiné à leur ami Stéphane Tortora, chef des sports de M6. Une variante existe à partir du journaliste hippique José Coves, camouflé en Covis, Covos, Covov... "Ça ne fait rire que nous, mais qu'est-ce qu'on se marre", reconnaît Thierry Roland. Qui rit moins, toutefois, quand la plaisanterie l'atteint : "Souvent, des gens l'appellent la veille des matches pour lui demander de dédicacer la rencontre en hommage à telle personne qui vient de mourir, raconte Jacques Vendroux. Thierry compatit alors à un deuil auquel il n'a rien à voir. Le lendemain, il dédicace le match. Manque de pot, il est arrivé que le mort en question fût bien vivant. Thierry découvre alors qu'on lui a fait une blague."
L'imprudence est probablement le caractère qui le définit le mieux. Le quotidien d'extrême droite Présent lui demande un entretien, en 1997 ? Il accepte, loin d'imaginer que ses déclarations en faveur de la peine de mort provoqueront un tollé. Il s'accroche avec Jean-Michel Larqué pour une sombre histoire de billets à la mi-temps de la finale du Mondial 2002 ? Il ignore que leur échange, en termes très crus, est enregistré à leur insu et qu'il circulera peu de temps après sur Internet.
En reléguant Thierry Roland sur TPS pour y commenter le football anglais, TF1 espère attirer vers son bouquet numérique une partie des nombreux fans du journaliste. Populiste pour les uns, celui-ci n'en demeure pas moins populaire pour les autres. Ses formules lancées à l'emporte-pièce, comme au zinc d'un bistrot, font parfois le bonheur des foyers. Roland et Larqué se sont créé un langage singulier, presque surréaliste, où les paraboles ont bonne place. Un discours footballistique où l'on nous apprend "qu'il y a toujours un barbu dans l'équipe d'Argentine", que "la défense de l'Uruguay, ce n'est pas la sécurité sociale", et qu'un joueur peut être "fauché comme un lapin en plein vol".
Gaffe ou aphorisme, le téléspectateur n'est jamais à l'abri d'une surprise avec Thierry Roland. La direction de TF1 le sait si bien qu'elle lui a interdit d'aller raconter sur les autres chaînes comment il vit sa fin de carrière : sa seule présence sur un plateau concurrent suffirait à faire grimper l'Audimat, et à faire baisser d'autant celui de TF1...
Redevenu pigiste en 2003 afin de toucher ses droits à la retraite, Thierry Roland s'est plié aux injonctions patronales. Trop content, finalement, de pouvoir continuer son métier. "Thierry se transforme en caméléon dans son intérêt supérieur, estime Jacques Vendroux. Il n'y a qu'une chose qui l'intéresse dans la vie : prendre l'avion, aller à l'hôtel et regarder des matches de foot." Continuer d'exister, en quelque sorte. La fin de Roger Couderc, décédé neuf mois après avoir commenté son dernier match de rugby, l'obsède depuis des années. Tout comme le Tour de France "de trop" que suivit Robert Chapatte... La mort lui fait si peur qu'il utilise une métaphore pour en parler : "l'arrêt-buffet". Le 27 juin 2003, il ne fut d'ailleurs pas loin de faire le grand voyage. Victime d'une rupture d'anévrisme, il s'en est sorti grâce à la lucidité de sa compagne, la réalisatrice Françoise Boulain, qui l'expédia aux urgences.
Cet accident n'a pas changé grand-chose à son quotidien. Sinon qu'il s'est marié : "En me réveillant, je me suis dit que ça serait bien de normaliser notre situation." La cérémonie a eu lieu le 12 septembre, dans l'intimité, devant Guy Drut, député, maire de Coulommiers (Seine-et-Marne) et champion olympique du 100 mètres en 1976. Thierry Roland jeune marié, qui l'eût cru ? "On a eu trente-huit ans de fiançailles, Françoise et moi. On voulait être sûrs de ne pas se tromper", lâche-t-il, dans une dernière boutade.
Frédéric Potet
Monsieur foot
LE MONDE | 14.10.04
A 67 ans, Thierry Roland se prépare à céder la place à Thierry Gilardi sur TF1. Le commentateur sportif, apprécié pour sa gouaille ou critiqué pour ses dérapages, a assuré la couverture de 11 Coupes du monde et 1 300 matches.
Avachi dans un canapé de son appartement grand standing du 7e arrondissement de Paris, Thierry Roland bougonne. Quelques semaines viennent de passer depuis l'annonce, par TF1, de son remplacement par Thierry Gilardi (ex-Canal +) pour commenter les matches des Bleus à partir de 2005, et l'amertume le submerge. Au départ, pourtant, il avait plutôt "bien vécu" cette décision, répétant que le temps était venu de "laisser la place aux jeunes". Mais, ce matin-là, le propos est nettement plus nuancé. "Vous avez beau être connu, apprécié, vénéré, vous n'êtes d'abord qu'un numéro de matricule,lâche-t-il avec son inimitable accent de "titi" parisien. Je suis actuellement dans la même position qu'en mai 1968 quand on nous avait lourdés de la télévision, alors qu'on n'avait rien fait de mal, sinon manifester dans la rue comme des millions de Français. Là, on me pousse vers la sortie, alors que je n'ai pas commis d'erreur dans l'exécution de mon métier. Je pense que cela aurait pu être fait de manière plus adroite."
Thierry Roland a 67 ans. Il en avait 18 à ses débuts. C'était en 1955, il y a presque cinquante ans, et tout le problème est justement dans ce "presque". Féru de chiffres ronds et de symboles simples, le plus célèbre des commentateurs sportifs aurait aimé partir à l'issue de la saison de football en cours, c'est-à-dire à la mi-2005 : "J'aurais voulu dire au revoir moi-même aux gens, leur dire qu'on a eu une aventure formidable qui a duré cinquante ans, qu'il ne faut pas avoir de regrets, et ciao, à la prochaine !"
TF1 ne l'a pas totalement évincé de son antenne, puisqu'il continuera de suivre la Coupe de France. Il commentera également un match du championnat anglais une fois par semaine sur le bouquet TPS. Mercredi 17 novembre, il sera néanmoins au micro pour son dernier match des Bleus : un France-Pologne amical sans grande saveur. "J'ai l'impression que ça se termine en eau de boudin", maugrée l'homme aux 11 Coupes du monde et aux plus de 1 300 matches commentés en direct.
Garder sa langue dans sa poche : même après un demi-siècle d'antenne, ou peu s'en faut, Thierry Roland ne sait pas faire. Ses détracteurs trouveront peut-être, dans cette inclinaison à exprimer ce qu'il pense à voix haute, l'origine de célèbres dérapages. Pour avoir - entre autres - traité un arbitre de "traître ", reproché à un autre d'être tunisien ou encore affirmé que "rien ne ressemble plus à un Coréen qu'un autre Coréen", Thierry Roland a souvent été présenté comme un individu raciste, franchouillard, chauvin, poujadiste... Une sorte de super-beauf, doublé d'un misogyne, si l'on se réfère à quelques déclarations sur la gent féminine.
Lui demander des explications sur chacune de ses bourdes est inutile. Rompu à l'exercice, il a réponse à tout. Et de jurer qu'il n'est bien sûr pas raciste et qu'il n'a jamais prétendu que le "football se joue avec du poil aux pattes et au menton". D'affirmer que l'allusion au physique des joueurs coréens n'était "pas méchante". S'il admet être parfois "maladroit" dans ses formulations, il préfère mettre ses bévues sur le compte du direct et de ses risques. Ainsi cette injure fondatrice ("Monsieur Foote, vous êtes un traître !"), lancée à l'arbitre écossais Ian Foote lors du match Bulgarie-France (2-2) de 1976 : "Quand il siffle ce penalty totalement injustifié contre nous, je cherche un mot pour stigmatiser mon courroux, se souvient Thierry Roland. Je cherche un mot qui est dans le dictionnaire. Mon idée, c'est de le traiter d'enculé, mais je ne peux pas... Quand vous êtes en direct, il faut que les mots accompagnent votre pensée, c'est pas évident."
M. Foote, le presque bien-nommé, deviendra donc le plus célèbre "traître " de l'histoire de ce sport. Une vingtaine de sacs postaux arriveront à la rédaction d'Antenne 2. "Des lettres de soutien, pour 99,9 % d'entre elles. J'ai fait l'union sacrée : il y avait des députés de droite, de gauche, des ouvriers... Tous m'écrivaient pour me dire que j'avais eu raison", avance Thierry Roland, non sans une certaine fierté. Un journaliste s'exprimant devant plusieurs millions de téléspectateurs n'est-il pas garant d'une certaine responsabilité ? "On ne peut pas me demander de mesurer la portée de ce que je vais dire", répond-il, sans ciller.
Irresponsable, Thierry Roland ? L'un de ses meilleurs amis, le journaliste Jacques Vendroux, n'est pas loin de soutenir cette thèse. "Thierry se complaît dans un rôle d'enfant attardé, indique le directeur des sports du groupe Radio France. Il a été élevé sur les Champs-Elysées dans un cocon richissime et il n'a pas galéré dans son existence. Un peu comme moi, qui suis rentré à la radio par piston grâce à mon père député, c'est un gâté de la vie. Tout cela a rendu Thierry insouciant, un peu irresponsable. Il n'a pas de limites."
Ce côté "grand enfant" est palpable sitôt franchie la porte de son appartement. Sur un mur, une invraisemblable galerie de photos dédicacées, achetées à prix d'or : Marilyn Monroe, Cary Grant, Frank Sinatra, Humphrey Bogart, Lauren Bacall... Sur une étagère, la collection complète du magazine France-Football, créé en 1946. Dans une pièce, une armoire entière de petites voitures. Ailleurs, des bandes dessinées (XIII, Largo Winch...) et une télévision gigantesque devant laquelle il peut rester, des journées entières, à regarder du sport. Le maître de maison est un casanier incurable. Et s'il lui arrive de partir, aux vacances, à Las Vegas, c'est pour assouvir sa passion du jeu. Un penchant qui fait aussi de lui un gagnant régulier au Loto sportif.
Son complice d'antenne, Jean-Michel Larqué, avec lequel il a commenté mercredi 13 octobre le match Chypre-France, le range dans un monde qui n'est pas celui des adultes. "En déplacement, Thierry nous pose sans cesse les mêmes questions : à quelle heure mange-t-on ? A quelle heure se lève-t-on ? Il lui faut constamment des repères, comme un enfant angoissé qui aurait peur que ses parents l'abandonnent." La journaliste Marianne Mako, qui fut sa collègue à TF1, ne le décrit pas sous un autre angle, malgré le conflit qui les opposa un jour sur fond de misogynie : "Peu de temps après avoir écrit un livre dans lequel il m'avait diffamée, le service des sports avait organisé un séminaire. Je me souviens qu'il rasait les murs, comme un petit garçon craignant de recevoir une taloche. D'ailleurs, j'aurais peut-être dû lui en mettre une", se souvient-elle en souriant.
Comme Peter Pan, Thierry Roland donne l'impression d'avoir, un jour, décidé d'arrêter de grandir. Ce jour est peut-être celui de la mort de son père, en 1946. L'enfant a alors 9 ans, et l'homme qui s'éteint, emporté par une méningite foudroyante, est presque un inconnu pour lui. "Je suis né en 1937, et mon père est parti dans l'armée de l'air en 1940,raconte-t-il. Quand il revient à la maison, fin 1945, c'est comme si je le découvrais. Il reprend son métier de bijoutier, travaille toute la journée, ce qui fait que je ne le vois pratiquement pas." Cette absence le hantera toute sa vie. "J'aurais aimé conserver le souvenir de sa voix dans mon oreille, confie-t-il. J'ai le bruit des bottes des occupants allemands sur les Champs-Elysées, mais pas la voix de mon père. Ça m'a énormément manqué et ça me manque toujours."
Bac en poche, plutôt que de reprendre la bijouterie familiale, Thierry Roland décide de devenir saltimbanque. Il frappe à la porte de la RTF (Radiodiffusion et Télévision française), où Georges Briquet l'embauche. Le sport le passionne. Surtout le foot, qu'il a pratiqué au Racing, même s'il ne fut qu'un "bourrin". A la radio et à la télévision, il se découvrira plusieurs modèles : Roger Couderc, Robert Chapatte, François Janin... Autant de "pères par substitution", dont il pleure encore la disparition. De l'enfance, Thierry Roland a conservé une sensibilité à fleur de peau. A chaque fois qu'une de ses idoles disparaît (Dalida, Lino Ventura, Jacques Brel, Jean Yanne...), il s'enferme chez lui, prostré et sanglotant. A chaque fois que ses films préférés sont diffusés, comme Une place au soleil, avec Elizabeth Taylor et Montgomery Clift (1951), ou L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux (Robert Redford, 1998), il écrase une larme, "toujours aux mêmes moments". "J'ai un caractère d'enfant, je le revendique, assume-t-il. Mais est-ce que c'est mal ? On voit tellement de choses épouvantables dans le monde !"
Enfant, il l'est également au micro, en s'autorisant bien des libertés. Ainsi cette blague de potache que peu de gens connaissent : dès que le soigneur d'une équipe étrangère pénètre sur la pelouse, le duo Roland-Larqué l'affuble du même patronyme : Tortori s'il est italien, Tortores s'il est espagnol, Tortorov s'il est bulgare... Un clin d'½il destiné à leur ami Stéphane Tortora, chef des sports de M6. Une variante existe à partir du journaliste hippique José Coves, camouflé en Covis, Covos, Covov... "Ça ne fait rire que nous, mais qu'est-ce qu'on se marre", reconnaît Thierry Roland. Qui rit moins, toutefois, quand la plaisanterie l'atteint : "Souvent, des gens l'appellent la veille des matches pour lui demander de dédicacer la rencontre en hommage à telle personne qui vient de mourir, raconte Jacques Vendroux. Thierry compatit alors à un deuil auquel il n'a rien à voir. Le lendemain, il dédicace le match. Manque de pot, il est arrivé que le mort en question fût bien vivant. Thierry découvre alors qu'on lui a fait une blague."
L'imprudence est probablement le caractère qui le définit le mieux. Le quotidien d'extrême droite Présent lui demande un entretien, en 1997 ? Il accepte, loin d'imaginer que ses déclarations en faveur de la peine de mort provoqueront un tollé. Il s'accroche avec Jean-Michel Larqué pour une sombre histoire de billets à la mi-temps de la finale du Mondial 2002 ? Il ignore que leur échange, en termes très crus, est enregistré à leur insu et qu'il circulera peu de temps après sur Internet.
En reléguant Thierry Roland sur TPS pour y commenter le football anglais, TF1 espère attirer vers son bouquet numérique une partie des nombreux fans du journaliste. Populiste pour les uns, celui-ci n'en demeure pas moins populaire pour les autres. Ses formules lancées à l'emporte-pièce, comme au zinc d'un bistrot, font parfois le bonheur des foyers. Roland et Larqué se sont créé un langage singulier, presque surréaliste, où les paraboles ont bonne place. Un discours footballistique où l'on nous apprend "qu'il y a toujours un barbu dans l'équipe d'Argentine", que "la défense de l'Uruguay, ce n'est pas la sécurité sociale", et qu'un joueur peut être "fauché comme un lapin en plein vol".
Gaffe ou aphorisme, le téléspectateur n'est jamais à l'abri d'une surprise avec Thierry Roland. La direction de TF1 le sait si bien qu'elle lui a interdit d'aller raconter sur les autres chaînes comment il vit sa fin de carrière : sa seule présence sur un plateau concurrent suffirait à faire grimper l'Audimat, et à faire baisser d'autant celui de TF1...
Redevenu pigiste en 2003 afin de toucher ses droits à la retraite, Thierry Roland s'est plié aux injonctions patronales. Trop content, finalement, de pouvoir continuer son métier. "Thierry se transforme en caméléon dans son intérêt supérieur, estime Jacques Vendroux. Il n'y a qu'une chose qui l'intéresse dans la vie : prendre l'avion, aller à l'hôtel et regarder des matches de foot." Continuer d'exister, en quelque sorte. La fin de Roger Couderc, décédé neuf mois après avoir commenté son dernier match de rugby, l'obsède depuis des années. Tout comme le Tour de France "de trop" que suivit Robert Chapatte... La mort lui fait si peur qu'il utilise une métaphore pour en parler : "l'arrêt-buffet". Le 27 juin 2003, il ne fut d'ailleurs pas loin de faire le grand voyage. Victime d'une rupture d'anévrisme, il s'en est sorti grâce à la lucidité de sa compagne, la réalisatrice Françoise Boulain, qui l'expédia aux urgences.
Cet accident n'a pas changé grand-chose à son quotidien. Sinon qu'il s'est marié : "En me réveillant, je me suis dit que ça serait bien de normaliser notre situation." La cérémonie a eu lieu le 12 septembre, dans l'intimité, devant Guy Drut, député, maire de Coulommiers (Seine-et-Marne) et champion olympique du 100 mètres en 1976. Thierry Roland jeune marié, qui l'eût cru ? "On a eu trente-huit ans de fiançailles, Françoise et moi. On voulait être sûrs de ne pas se tromper", lâche-t-il, dans une dernière boutade.
Frédéric Potet