16-03-2004, 16:33
Jules-Edouard Moustic, 52 ans, présentateur du décapant «7 jours au Groland» sur Canal +, en délicatesse avec tout ce qui ressemble à une quelconque autorité.
Poil à rire
Par Judith PERRIGNON
Il a de tout petits rires pour ponctuer ses phrases. Un petit pavillon en meulière pour garder ses souvenirs d'enfance, empiler ses disques de rock et abriter ses séjours parisiens. Un petit nom : Moustic, hérité d'un temps où il était un fluet débutant de la radio monégasque, et pas encore la mouche vacharde, entrée par la lucarne du Canal historique et jamais ressortie. Pas encore Jules-Edouard Moustic, présentateur en chef du journal de la «présipauté de Groland», véritable faux pli sous le fer à repasser de la machinerie télévisuelle. Un gros million de fidèles tous les samedis soir en clair sur Canal +. Des «GRD» au cul de 40 000 voitures affichant le blason des connaisseurs d'une enclave qui carbure à la bière, décapite régulièrement son Président, vomit le sirop de l'information standard, embauche une Black siliconée pour montrer des gros seins bannis en Amérique ou crée l'Hyper Star, épreuves pour filles qui veulent devenir caissières.
Refermée cette petite poche de résistance interdite aux moins de 10 ans, pour cause de grosses blagues avec plein de poils autour, demeure le petit homme aux tout petits rires. Jamais tonitruant parce qu'il est timide, jamais star parce qu'il n'est que toléré, jamais militant parce qu'il n'a pas la foi. C'est un adepte du doute et de la rigolade. Un irrévérencieux dans un monde où chacun est libre de faire comme tout le monde. Un moustique qui donne et donna des boutons aux autorités, que voilà.
Le père. Il y a, clouée au mur du pavillon, entre photos de surf et d'enfants, une vieille vérité gravée dans le bois, héritage de la franc-maçonnerie du paternel. Plus bibelot kitch qu'oeil du père : «Si le Grand Architecte te donne un fils, remercie-le, mais tremble pour le dépôt qu'il te confie. Fais que jusqu'à 10 ans il te craigne, que jusqu'à 20 il t'aime, et que jusqu'à ta mort il te respecte.» Le père était chimiste, installé à son compte dans un atelier de précision. Et il a tremblé. Jusqu'à 10 ans, son fils * prénom Christian, nom Rogue * n'avait d'autres extravagances que de s'endormir avec le transistor sous l'oreiller ou de jouer dans les trous d'obus de la forêt de Meudon. Entre 10 et 20 ans, ça se gâte. Le fils a déjà 19 ans quand son géniteur fait le voyage pour le repêcher au fin fond de la Sarthe. C'est que, après avoir ouvert un magasin mi-fringues mi-photos à Sablé («Au bout de trois mois, mon associé devenait con, il se prenait pour une personnalité locale»), le moucheron avait atterri dans une ferme transformée en hôtel-restaurant, la Chapelle du Chêne, ainsi nommée pour cause d'apparition de la Vierge dans le creux d'un arbre. Il y avait là de quoi nourrir et recevoir un bus plein de bigots, et un patron paysan court sur pattes et dents façon dentelle, qui cachait des affiches de Noureev dans sa chambre. Futur Moustic aidait au restaurant. Le soir, le chauffeur de maître d'un très riche du coin venait le chercher en Rolls et l'emmenait boire un cognac au château. «Il était tombé amoureux de moi.» Il végétait dans ce petit monde improbable et homo, au fin fond de la cambrousse, quand le père débarqua et dit : «Je viens te sauver.» Il est rentré avec lui.
Les profs. Le fils du franc-maçon, indésirable dans bien des écoles de la République, est passé par une école catholique de Versailles, puis par une boîte privée de Paris, collé six heures par semaine. «J'ai jamais lâché. Quand le prof d'espagnol arrivait, je me levais et je partais. Il me demandait pourquoi. Je lui disais : "Parce que je vous aime pas." Moi, j'aimais bien le prof de maths. Il était beau, intelligent. Pour moi, les profs, ils devaient être des seigneurs, pas des mecs voûtés. Je voulais pas être dans le gris.» Il lisait donc Rouge, le journal des pions qui surveillaient les colles. «J'étais dans le monde des adultes, j'étais bien.»
La mère. Le soir du passage à l'an 2000, il dit à sa mère : «Ma petite mère, tu vas bien fumer un pétard.» Il lui a expliqué comment avaler la fumée, l'a regardée chantonner comme une petite fille. Le lendemain matin, elle a dit : «Je réessaierais bien.» «Pas question», a répondu Moustic. Sinon, un conseil à tous les pères comme lui (un fils de 18 ans qui vit chez sa mère à Monaco et deux autres «prêtés» par sa femme actuelle, surfeuse avec qui il vit du côté de Saint-Jean-de-Luz), glané dans son dernier livre : «Prenez deux enfants et mettez-les dans une pièce donnant sur la cuisine. Laissez la porte ouverte et attendez trente minutes. Au bout de ce temps, sans qu'ils ne vous voient, ouvrez le robinet de l'évier. Rien qu'au son de l'eau qui coule, ils vous appellent Maman.»
Les patrons. Il a fait beaucoup de petits boulots. Vendeur hi-fi, «pour avoir 40 % sur les enceintes que je voulais». Vendeur chez Lido Musique. «Je voyais le chanteur de Bijou qui volait des disques. Moi aussi, j'en volais. De toute façon, le patron, il nous exploitait. On n'avait rien pour s'asseoir.» L'aime pas trop les patrons. Moins encore que Sarkozy : «Lui, il fait du bruit pour qu'on le suive, pendant que les pitbulls du Medef, aidés de Raffarin, déterrent et balancent tout.»
Le directeur d'antenne. On est en 1975. Il fait l'assistant du technicien de Drucker sur RTL, puis migre vers Radio Andorre. Franco est à l'agonie, la police sur les dents. A l'antenne, il passe Moustaki, Quand le général sera mort... Coup de fil furibard du directeur d'antenne. Il passe les Quilapayun, réfugiés chiliens, qui chantent la résistance à la dictature. Nouveau coup de fil. Il s'en va, vers une autre principauté radiophonique, RMC, où il se pose pendant douze ans, faisant tantôt le réalisateur, l'animateur, le programmateur. Il lui en reste son surnom, une vieille carte postale de promo avec les visages souriants et bronzés des vedettes de l'époque * «Là, c'est Foucault avec sa tête d'escroc» *, des souvenirs de stars en villégiature sur la Côte * «J'avais rien à dire aux invités.» C'est là surtout qu'il rencontre Alain Chabat, qui l'appellera pour écrire quelques sketchs des Nuls. Il apparaît en homme-tronc sur les écrans de Canal + en 1992, dans un pastiche de CNN qui deviendra Groland. Douze ans plus tard, il n'a toujours pas de bureau au siège de la chaîne, gagne en moyenne 9 000 euros par mois et n'a pas que des amis à la direction. Le même qui chercherait un job à la télé aujourd'hui n'en trouverait pas. «On est dans un cycle d'industriel. J'ai connu ça en radio : on voyait les maisons de disques reprendre le contrôle de la programmation, parce que le rock ne faisait pas gagner assez d'argent. A la télé, c'est pareil. Un jour peut-être, quand ils auront bien essoré la daube, ça reviendra.»
Le Président. Il a toujours voté, sauf au deuxième tour de la présidentielle de 2002. «Jamais je ne pourrais donner ma voix à un mec comme Chirac.» Son Président à lui, c'est celui de Groland, Christophe Salengro. Lequel a eu, pour de vrai, un méchant accident de moto l'an dernier, qui a nécessité une intervention chirurgicale pour refaire son visage. Par chance, la bande de Groland, très portée sur la décapitation du tout-puissant, a fourni le moulage de sa tête d'avant l'accident. «Ça datait d'une manif à Cannes, avec la tête de notre Président au bout d'une pique. Je sais plus pourquoi, Chirac avait encore dû faire quelque chose. En tout cas, ça a servi aux chirurgiens. Je leur ai demandé de ne pas en profiter pour lui recoller les oreilles.»
Il y a, vissées au mur, sous verre, des chaussures de vieux à grosses côtes de velours beige. «Elles sont là juste parce qu'elles sont moches.» Elles pourraient avoir appartenu au vieux prof d'espagnol, ou à Chirac en week-end.
Poil à rire
Par Judith PERRIGNON
Il a de tout petits rires pour ponctuer ses phrases. Un petit pavillon en meulière pour garder ses souvenirs d'enfance, empiler ses disques de rock et abriter ses séjours parisiens. Un petit nom : Moustic, hérité d'un temps où il était un fluet débutant de la radio monégasque, et pas encore la mouche vacharde, entrée par la lucarne du Canal historique et jamais ressortie. Pas encore Jules-Edouard Moustic, présentateur en chef du journal de la «présipauté de Groland», véritable faux pli sous le fer à repasser de la machinerie télévisuelle. Un gros million de fidèles tous les samedis soir en clair sur Canal +. Des «GRD» au cul de 40 000 voitures affichant le blason des connaisseurs d'une enclave qui carbure à la bière, décapite régulièrement son Président, vomit le sirop de l'information standard, embauche une Black siliconée pour montrer des gros seins bannis en Amérique ou crée l'Hyper Star, épreuves pour filles qui veulent devenir caissières.
Refermée cette petite poche de résistance interdite aux moins de 10 ans, pour cause de grosses blagues avec plein de poils autour, demeure le petit homme aux tout petits rires. Jamais tonitruant parce qu'il est timide, jamais star parce qu'il n'est que toléré, jamais militant parce qu'il n'a pas la foi. C'est un adepte du doute et de la rigolade. Un irrévérencieux dans un monde où chacun est libre de faire comme tout le monde. Un moustique qui donne et donna des boutons aux autorités, que voilà.
Le père. Il y a, clouée au mur du pavillon, entre photos de surf et d'enfants, une vieille vérité gravée dans le bois, héritage de la franc-maçonnerie du paternel. Plus bibelot kitch qu'oeil du père : «Si le Grand Architecte te donne un fils, remercie-le, mais tremble pour le dépôt qu'il te confie. Fais que jusqu'à 10 ans il te craigne, que jusqu'à 20 il t'aime, et que jusqu'à ta mort il te respecte.» Le père était chimiste, installé à son compte dans un atelier de précision. Et il a tremblé. Jusqu'à 10 ans, son fils * prénom Christian, nom Rogue * n'avait d'autres extravagances que de s'endormir avec le transistor sous l'oreiller ou de jouer dans les trous d'obus de la forêt de Meudon. Entre 10 et 20 ans, ça se gâte. Le fils a déjà 19 ans quand son géniteur fait le voyage pour le repêcher au fin fond de la Sarthe. C'est que, après avoir ouvert un magasin mi-fringues mi-photos à Sablé («Au bout de trois mois, mon associé devenait con, il se prenait pour une personnalité locale»), le moucheron avait atterri dans une ferme transformée en hôtel-restaurant, la Chapelle du Chêne, ainsi nommée pour cause d'apparition de la Vierge dans le creux d'un arbre. Il y avait là de quoi nourrir et recevoir un bus plein de bigots, et un patron paysan court sur pattes et dents façon dentelle, qui cachait des affiches de Noureev dans sa chambre. Futur Moustic aidait au restaurant. Le soir, le chauffeur de maître d'un très riche du coin venait le chercher en Rolls et l'emmenait boire un cognac au château. «Il était tombé amoureux de moi.» Il végétait dans ce petit monde improbable et homo, au fin fond de la cambrousse, quand le père débarqua et dit : «Je viens te sauver.» Il est rentré avec lui.
Les profs. Le fils du franc-maçon, indésirable dans bien des écoles de la République, est passé par une école catholique de Versailles, puis par une boîte privée de Paris, collé six heures par semaine. «J'ai jamais lâché. Quand le prof d'espagnol arrivait, je me levais et je partais. Il me demandait pourquoi. Je lui disais : "Parce que je vous aime pas." Moi, j'aimais bien le prof de maths. Il était beau, intelligent. Pour moi, les profs, ils devaient être des seigneurs, pas des mecs voûtés. Je voulais pas être dans le gris.» Il lisait donc Rouge, le journal des pions qui surveillaient les colles. «J'étais dans le monde des adultes, j'étais bien.»
La mère. Le soir du passage à l'an 2000, il dit à sa mère : «Ma petite mère, tu vas bien fumer un pétard.» Il lui a expliqué comment avaler la fumée, l'a regardée chantonner comme une petite fille. Le lendemain matin, elle a dit : «Je réessaierais bien.» «Pas question», a répondu Moustic. Sinon, un conseil à tous les pères comme lui (un fils de 18 ans qui vit chez sa mère à Monaco et deux autres «prêtés» par sa femme actuelle, surfeuse avec qui il vit du côté de Saint-Jean-de-Luz), glané dans son dernier livre : «Prenez deux enfants et mettez-les dans une pièce donnant sur la cuisine. Laissez la porte ouverte et attendez trente minutes. Au bout de ce temps, sans qu'ils ne vous voient, ouvrez le robinet de l'évier. Rien qu'au son de l'eau qui coule, ils vous appellent Maman.»
Les patrons. Il a fait beaucoup de petits boulots. Vendeur hi-fi, «pour avoir 40 % sur les enceintes que je voulais». Vendeur chez Lido Musique. «Je voyais le chanteur de Bijou qui volait des disques. Moi aussi, j'en volais. De toute façon, le patron, il nous exploitait. On n'avait rien pour s'asseoir.» L'aime pas trop les patrons. Moins encore que Sarkozy : «Lui, il fait du bruit pour qu'on le suive, pendant que les pitbulls du Medef, aidés de Raffarin, déterrent et balancent tout.»
Le directeur d'antenne. On est en 1975. Il fait l'assistant du technicien de Drucker sur RTL, puis migre vers Radio Andorre. Franco est à l'agonie, la police sur les dents. A l'antenne, il passe Moustaki, Quand le général sera mort... Coup de fil furibard du directeur d'antenne. Il passe les Quilapayun, réfugiés chiliens, qui chantent la résistance à la dictature. Nouveau coup de fil. Il s'en va, vers une autre principauté radiophonique, RMC, où il se pose pendant douze ans, faisant tantôt le réalisateur, l'animateur, le programmateur. Il lui en reste son surnom, une vieille carte postale de promo avec les visages souriants et bronzés des vedettes de l'époque * «Là, c'est Foucault avec sa tête d'escroc» *, des souvenirs de stars en villégiature sur la Côte * «J'avais rien à dire aux invités.» C'est là surtout qu'il rencontre Alain Chabat, qui l'appellera pour écrire quelques sketchs des Nuls. Il apparaît en homme-tronc sur les écrans de Canal + en 1992, dans un pastiche de CNN qui deviendra Groland. Douze ans plus tard, il n'a toujours pas de bureau au siège de la chaîne, gagne en moyenne 9 000 euros par mois et n'a pas que des amis à la direction. Le même qui chercherait un job à la télé aujourd'hui n'en trouverait pas. «On est dans un cycle d'industriel. J'ai connu ça en radio : on voyait les maisons de disques reprendre le contrôle de la programmation, parce que le rock ne faisait pas gagner assez d'argent. A la télé, c'est pareil. Un jour peut-être, quand ils auront bien essoré la daube, ça reviendra.»
Le Président. Il a toujours voté, sauf au deuxième tour de la présidentielle de 2002. «Jamais je ne pourrais donner ma voix à un mec comme Chirac.» Son Président à lui, c'est celui de Groland, Christophe Salengro. Lequel a eu, pour de vrai, un méchant accident de moto l'an dernier, qui a nécessité une intervention chirurgicale pour refaire son visage. Par chance, la bande de Groland, très portée sur la décapitation du tout-puissant, a fourni le moulage de sa tête d'avant l'accident. «Ça datait d'une manif à Cannes, avec la tête de notre Président au bout d'une pique. Je sais plus pourquoi, Chirac avait encore dû faire quelque chose. En tout cas, ça a servi aux chirurgiens. Je leur ai demandé de ne pas en profiter pour lui recoller les oreilles.»
Il y a, vissées au mur, sous verre, des chaussures de vieux à grosses côtes de velours beige. «Elles sont là juste parce qu'elles sont moches.» Elles pourraient avoir appartenu au vieux prof d'espagnol, ou à Chirac en week-end.