03-03-2004, 11:02
In Libération du jour, ce portrait du capillodéficient, pas très innovant mais digne d'intérêt malgré tout
:mf_doctor
Général de goal
Le crâne est toujours tondu mais houssé d'un bonnet orange, entre rap-attitude d'esclave de la mode et déconnade de Schtroumpf farceur. La barbiche est rasée pour ne pas agresser la peau d'ange de son fils nouveau-né. La cigarette est réclamée dès la mi-entretien, Fabien Barthez se penchant au balcon pour héler le dernier fournisseur potentiel qui quitte le centre d'entraînement de l'Olympique de Marseille. Sinon, il y a toujours cette voix trafiquée à l'hélium, criarde, fluette, un peu Donald Duck pyrénéen, un peu cakou caquetant sous les platanes en reluquant les belles passantes. Une voix qui fait qu'on ne peut absolument pas le prendre au sérieux et qu'on a tout à fait tort, car le bonhomme est beaucoup plus intéressant que ne le laisse à penser son personnage qu'il s'est régalé à mettre sur orbite et qu'il laisse vivre en apesanteur, sans soucis de corriger le tir, de rectifier la position. A mille lieues de toute stratégie marketing à la David Beckham, ce qui ne l'empêche pas d'engranger 300 000 euros mensuels net d'impôts, de se laisser séduire par Nike au détriment d'Adidas et d'avoir assuré l'avenir des siens pour plusieurs générations, en ces temps bénis pour le capital qui fait des petits.
Il était un héros de BD, un goal de cape et d'épée, un gentil monstre pour petits garçons à crampons. Ses pérégrinations loin de sa cage, ses voyages hors de sa surface, ses prises de risque pied au plancher quand tant d'autres campent en base arrière, une main devant, une main derrière, valaient passeport pour l'inconnu pour des mouflets fatigués d'être couvés par papa et sermonnés par maman. Et non l'inverse... Les maillots acryliques numéro 16 qui fleurissaient dans les cours de récré peuvent bien avoir rétréci à l'usage, Barthez reste cet aventurier du foot, un précurseur très bosseur déguisé en déconneur. Il était à Monaco, il passa par Manchester, il vient de revenir à Marseille, il n'a pas quitté l'équipe de France et il continue à dribbler quand les gardiens sont considérés comme des pieds-bots, à tirer des penaltys exercice d'ordinaire réservés aux «manchots», et à dégager façon rugbyman assez barjot. Il reste pirate à l'abordage, les enfants aiment ça et lui aussi. Il dit : «Les gamins, c'est sain, innocent, rêveur. Je suis un peu comme ça. Ils doivent le sentir. Même mes prises de risque, ça fait parti de ce côté môme.» Il est père de famille, désormais. C'est important : «La famille, c'est la seule chose de vraie.» Il reprend le discours convenu des footeux qui planquent leur besoin d'adrénaline et d'excès derrière une façade pépère, mais cela paraît sincère. Lenny concentre toute son attention. Il veut l'élever comme il l'a été par des parents tôt divorcés mais restés très présents. Cools, mais classiques. «Jamais, une gifle. On ne m'a rien imposé. Mais j'ai toujours su dire merci, au revoir, sans qu'on demande.» D'où son étonnement devant les mises en demeure des jeunes chasseurs d'autographes, devant les : «Oh, Barthez, signe là». Et lui de faire la sourde oreille, grondeur réprobateur très «tout fout le camp».
Il était l'ami à qui on veut du bien. En 1998, Ipsos affirmait que 48 % des Français le souhaitaient comme copain. 29 % en pinçaient pour Zidane, 21 % pour Blanc. D'où venait une telle faveur ? De cette jubilation de joueur compulsif. De ce sens de la fête de gars du Sud-Ouest. De cette décontraction étourdie qui le voyait oublier ses gants avant d'entrer sur le terrain ou plaisanter à l'instant du coup d'envoi. Et, aussi, de sa simple extraction pas ramenarde. Un village au pied des Pyrénées. Lavelanet, 8 000 habitants, cité textile sinistrée par les délocalisations. Et dans la famille, s'il y eut une petite usine, un resto, des rugbymen, une tradition plutôt à gauche, il y a maintenant un bar-tabac offert par Fabien à sa soeur. Surprise, Barthez ne fait pas l'apologie des racines, qui vous font des liens de lierre, étouffants, parasitaires. Et c'est peut-être cela qui le maintient en phase avec un pays qui achève son urbanisation. Il dit : «A petits villages, petits blabla. Moi, j'ai besoin de mon indépendance. Quand on débarque en ville, on se sent perdu, mais c'est pas plus mal.» Il est parti conquérir le monde. Et l'Ariégois au coeur simple à qui rien n'était promis, le provincial qui s'était arrêté en première G s'est goinfré de gloire, de luxe et de beauté. Il copine avec Obsipo (chanteur), intrigue Bacri et Luchini (acteurs). Il a vécu avec l'un des mannequins les plus demandés, Linda Evangelista. Il compte bien s'installer avec sa compagne actuelle et leur enfant au soleil des riches et des intelligents, Aix-en-Provence, le Luberon. Le retour au pays cathare, ce sera de temps à autre, pas trop souvent. Cette évolution n'implique pas que l'homme se soit renié. Au contraire ! Sa stabilité de caractère lui a permis d'avancer sans s'angoisser. L'analyse d'Elie Baup, entraîneur, initiateur et ami, est toujours valable. Il disait (1) en substance : Fabien a la sagesse des gens de la campagne, que personne n'impressionne, qui savent qu'on n'est que de passage et qu'il faut faire vite. Baptême, église, caté, «la croix au-dessus du lit», Barthez, aujourd'hui, regarde ça de loin. Une vie après la mort, un horizon pour ses proches malades ? «Je ne sais pas. Des jours, oui, des jours, non.»
Il était le «divin chauve». Et, derrière ce sobriquet amical, ceux qui embrassaient son crâne de bonze banzaï camouflaient leur surprise devant son étrangeté, sa différence, ses particularismes. Barthez a beau avoir vendu sa tonsure à McDo, faisant s'étouffer d'indignation Jean-Luc Godard («Si on avait su que ça finirait ainsi...»), il n'est pas devenu un joueur standardisé, un boursicoteur du ballon rond, il garde son potentiel de folie. Il y avait la vitesse. Le scooter droit dans le mur. La voiture volée à son père. Les routes de montagne à faire vomir le passager. Monaco-Marseille en Porsche et en accéléré, juste pour le déjeuner. Il prétend que la paternité l'a calmé. Il monte dans un énorme 4 x 4 noir, le véhicule des people avec famille. Mais se verrait bien piloter en circuit... Il y a toujours le tabac et ça surprend par ces temps d'hygiénisme. Il y eut sans doute quelques pétards et compagnie, parce qu'il a beau être secret, il est de son temps et n'a peur de rien. Il y a les animaux. Il aurait bien fait «vétérinaire, éthologue». Il évoque les squales, «les grands blancs», rêve de safaris photos en Afrique du Sud, scrute les chaînes animalières sur le câble. L'hiver, quand il n'y a personne, il nage avec les dauphins au Marineland. Et, à Manchester, après l'entraînement, il allait au zoo. Il était là, reclus dans sa voiture, au milieu des lions. Il y restait deux, trois heures. A des années-lumière de cette sauvagerie humaine qu'il dissèque avec malice, avec appétit. Et puis il était temps de repartir, de retrouver la jungle du foot, de ne pas broncher malgré la mise à l'index par Alex Ferguson, le manager anglais, sauveur de Cantona mais fossoyeur du gardien français. Ce «Fabulous Fab» coupable de lui avoir manqué à l'heure du rendez-vous ultime, face au Real de Zidane. De la part du répudié, pas un mot, pas un soupir. Ne jamais demander d'explications, ne jamais se plaindre. Très british, assez royal même. Et le voilà qui rapplique à Marseille, discret et distrait, pour réinventer «Fab le fada». Celui qui capte les poussières d'étoile. Celui qui détourne la lune. Du bout du doigt.
Luc le Vaillant
(1) In l'Equipe, 9 juin 2002.
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Général de goal
Le crâne est toujours tondu mais houssé d'un bonnet orange, entre rap-attitude d'esclave de la mode et déconnade de Schtroumpf farceur. La barbiche est rasée pour ne pas agresser la peau d'ange de son fils nouveau-né. La cigarette est réclamée dès la mi-entretien, Fabien Barthez se penchant au balcon pour héler le dernier fournisseur potentiel qui quitte le centre d'entraînement de l'Olympique de Marseille. Sinon, il y a toujours cette voix trafiquée à l'hélium, criarde, fluette, un peu Donald Duck pyrénéen, un peu cakou caquetant sous les platanes en reluquant les belles passantes. Une voix qui fait qu'on ne peut absolument pas le prendre au sérieux et qu'on a tout à fait tort, car le bonhomme est beaucoup plus intéressant que ne le laisse à penser son personnage qu'il s'est régalé à mettre sur orbite et qu'il laisse vivre en apesanteur, sans soucis de corriger le tir, de rectifier la position. A mille lieues de toute stratégie marketing à la David Beckham, ce qui ne l'empêche pas d'engranger 300 000 euros mensuels net d'impôts, de se laisser séduire par Nike au détriment d'Adidas et d'avoir assuré l'avenir des siens pour plusieurs générations, en ces temps bénis pour le capital qui fait des petits.
Il était un héros de BD, un goal de cape et d'épée, un gentil monstre pour petits garçons à crampons. Ses pérégrinations loin de sa cage, ses voyages hors de sa surface, ses prises de risque pied au plancher quand tant d'autres campent en base arrière, une main devant, une main derrière, valaient passeport pour l'inconnu pour des mouflets fatigués d'être couvés par papa et sermonnés par maman. Et non l'inverse... Les maillots acryliques numéro 16 qui fleurissaient dans les cours de récré peuvent bien avoir rétréci à l'usage, Barthez reste cet aventurier du foot, un précurseur très bosseur déguisé en déconneur. Il était à Monaco, il passa par Manchester, il vient de revenir à Marseille, il n'a pas quitté l'équipe de France et il continue à dribbler quand les gardiens sont considérés comme des pieds-bots, à tirer des penaltys exercice d'ordinaire réservés aux «manchots», et à dégager façon rugbyman assez barjot. Il reste pirate à l'abordage, les enfants aiment ça et lui aussi. Il dit : «Les gamins, c'est sain, innocent, rêveur. Je suis un peu comme ça. Ils doivent le sentir. Même mes prises de risque, ça fait parti de ce côté môme.» Il est père de famille, désormais. C'est important : «La famille, c'est la seule chose de vraie.» Il reprend le discours convenu des footeux qui planquent leur besoin d'adrénaline et d'excès derrière une façade pépère, mais cela paraît sincère. Lenny concentre toute son attention. Il veut l'élever comme il l'a été par des parents tôt divorcés mais restés très présents. Cools, mais classiques. «Jamais, une gifle. On ne m'a rien imposé. Mais j'ai toujours su dire merci, au revoir, sans qu'on demande.» D'où son étonnement devant les mises en demeure des jeunes chasseurs d'autographes, devant les : «Oh, Barthez, signe là». Et lui de faire la sourde oreille, grondeur réprobateur très «tout fout le camp».
Il était l'ami à qui on veut du bien. En 1998, Ipsos affirmait que 48 % des Français le souhaitaient comme copain. 29 % en pinçaient pour Zidane, 21 % pour Blanc. D'où venait une telle faveur ? De cette jubilation de joueur compulsif. De ce sens de la fête de gars du Sud-Ouest. De cette décontraction étourdie qui le voyait oublier ses gants avant d'entrer sur le terrain ou plaisanter à l'instant du coup d'envoi. Et, aussi, de sa simple extraction pas ramenarde. Un village au pied des Pyrénées. Lavelanet, 8 000 habitants, cité textile sinistrée par les délocalisations. Et dans la famille, s'il y eut une petite usine, un resto, des rugbymen, une tradition plutôt à gauche, il y a maintenant un bar-tabac offert par Fabien à sa soeur. Surprise, Barthez ne fait pas l'apologie des racines, qui vous font des liens de lierre, étouffants, parasitaires. Et c'est peut-être cela qui le maintient en phase avec un pays qui achève son urbanisation. Il dit : «A petits villages, petits blabla. Moi, j'ai besoin de mon indépendance. Quand on débarque en ville, on se sent perdu, mais c'est pas plus mal.» Il est parti conquérir le monde. Et l'Ariégois au coeur simple à qui rien n'était promis, le provincial qui s'était arrêté en première G s'est goinfré de gloire, de luxe et de beauté. Il copine avec Obsipo (chanteur), intrigue Bacri et Luchini (acteurs). Il a vécu avec l'un des mannequins les plus demandés, Linda Evangelista. Il compte bien s'installer avec sa compagne actuelle et leur enfant au soleil des riches et des intelligents, Aix-en-Provence, le Luberon. Le retour au pays cathare, ce sera de temps à autre, pas trop souvent. Cette évolution n'implique pas que l'homme se soit renié. Au contraire ! Sa stabilité de caractère lui a permis d'avancer sans s'angoisser. L'analyse d'Elie Baup, entraîneur, initiateur et ami, est toujours valable. Il disait (1) en substance : Fabien a la sagesse des gens de la campagne, que personne n'impressionne, qui savent qu'on n'est que de passage et qu'il faut faire vite. Baptême, église, caté, «la croix au-dessus du lit», Barthez, aujourd'hui, regarde ça de loin. Une vie après la mort, un horizon pour ses proches malades ? «Je ne sais pas. Des jours, oui, des jours, non.»
Il était le «divin chauve». Et, derrière ce sobriquet amical, ceux qui embrassaient son crâne de bonze banzaï camouflaient leur surprise devant son étrangeté, sa différence, ses particularismes. Barthez a beau avoir vendu sa tonsure à McDo, faisant s'étouffer d'indignation Jean-Luc Godard («Si on avait su que ça finirait ainsi...»), il n'est pas devenu un joueur standardisé, un boursicoteur du ballon rond, il garde son potentiel de folie. Il y avait la vitesse. Le scooter droit dans le mur. La voiture volée à son père. Les routes de montagne à faire vomir le passager. Monaco-Marseille en Porsche et en accéléré, juste pour le déjeuner. Il prétend que la paternité l'a calmé. Il monte dans un énorme 4 x 4 noir, le véhicule des people avec famille. Mais se verrait bien piloter en circuit... Il y a toujours le tabac et ça surprend par ces temps d'hygiénisme. Il y eut sans doute quelques pétards et compagnie, parce qu'il a beau être secret, il est de son temps et n'a peur de rien. Il y a les animaux. Il aurait bien fait «vétérinaire, éthologue». Il évoque les squales, «les grands blancs», rêve de safaris photos en Afrique du Sud, scrute les chaînes animalières sur le câble. L'hiver, quand il n'y a personne, il nage avec les dauphins au Marineland. Et, à Manchester, après l'entraînement, il allait au zoo. Il était là, reclus dans sa voiture, au milieu des lions. Il y restait deux, trois heures. A des années-lumière de cette sauvagerie humaine qu'il dissèque avec malice, avec appétit. Et puis il était temps de repartir, de retrouver la jungle du foot, de ne pas broncher malgré la mise à l'index par Alex Ferguson, le manager anglais, sauveur de Cantona mais fossoyeur du gardien français. Ce «Fabulous Fab» coupable de lui avoir manqué à l'heure du rendez-vous ultime, face au Real de Zidane. De la part du répudié, pas un mot, pas un soupir. Ne jamais demander d'explications, ne jamais se plaindre. Très british, assez royal même. Et le voilà qui rapplique à Marseille, discret et distrait, pour réinventer «Fab le fada». Celui qui capte les poussières d'étoile. Celui qui détourne la lune. Du bout du doigt.
Luc le Vaillant
(1) In l'Equipe, 9 juin 2002.
Ana flamoute ?