27-11-2012, 16:39
Quelque part sous la ville de Marseille, nuit du 27 au 28 novembre 2011…
[La caméra parcourt une série de tunnels d'égouts, balançant légèrement à gauche et à droite, la perspective étant semblable à celle d'un insecte volant passablement ivre. On aperçoit ici et là des tas d'immondices, des rats seuls ou en groupe, des articles ménagers divers et deux ou trois cadavres de journalistes. Au loin, le grondement étouffé d'une rame de métro. Une trentaine de secondes plus tard, le point de vue vire soudain sur la droite et s'engage dans une série de tunnels en pente descendante. Il fait de plus en plus sombre, et seuls quelques clapotis et bruits de grattement perturbent le silence. Quelques virages plus tard, les pentes des tunnels se font plus raides, les espaces plus étroits. On devine progressivement une source de lumière, et au sortir d'une courbe dans le tunnel, la caméra s'arrête soudain. Droit devant, une solide porte-sas qui serait à sa place sur un navire de guerre, flanquée d'une lampe à sodium sise dans un cocon de verre épais feutrant son éclat. Des bruits de voix à peine audibles proviennent de derrière la porte. Après un temps d'arrêt, fade out/fade in.
La caméra est en hauteur, stationnaire. La scène se déroule dans une vaste pièce à l'aspect résolument industriel. Vieilles machines rouillées, conduits de taille massive près des murs. Le centre de la pièce est assez dégagé, et alors que des bruits de voix augmentent progressivement de volume, la caméra s'oriente lentement vers le bas, révélant deux personnages, l'un totalement chauve et visiblement mâle, l'autre à la masse capillaire fournie et au sexe indistinct à premier abord. La perspective glisse lentement vers le bas, et l'on se rend compte que l'homme chauve porte un survêtement bleu ciel, tandis que le personnage chevelu semble porter un costume, ce qui laisse penser qu'il s'agit d'un homme. Leur conversation est désormais audible.]
LE CHEVELU : "Et il en dit quoi, Élie ?"
LE CHAUVE : "Rien, ô mon Maître. Je crois bien qu'il ne se doute de rien. Je n'ai même pas eu besoin de lui faire la moindre promesse pour le Mercato d'hiver."
LE CHEVELU : "C'est très bien, Enrique. Si tout se passe comme prévu, plus personne ne pourra te déloger du haut de l'organigramme d'ici l'été prochain. Et tu es sûr que les groupes ne vont pas se mettre à râler comme des petits bourges gauchistes ?"
LE CHAUVE : "Sûr et certain, ô mon Maître. Je vous l'ai dit : les groupes, j'en fais mon affaire. De toute manière, plus le temps passe, plus les supporters s'en foutent. Ils ont même leur propre topic chez OpiOM. Du petit lait, que je vous dis."
[La caméra est maintenant à la hauteur des visages des deux interlocuteurs, quelques mètres sur le côté. On voit que les deux hommes sont assis de part et d'autre d'un petit bureau métallique, Le Chevelu dans un confortable fauteuil en cuir, Le Chauve sur une chaise en bois décrépite. Le Chevelu semble réfléchir. Ses mains forment une petite tente, ses index appuyés contre ses lèvres, qui esquissent une moue dubitative. Après une quinzaine de secondes de silence, pendant lesquelles Le Chauve gigote nerveusement sur sa chaise, la conversation reprend.]
LE CHEVELU : "Bon. J'espère pour toi que tu dis vrai, parce que si ça tourne au vinaigre, La Patronne va nous faire tailler des costards en ciment, qu'on étrennera au fond du Vieux-Port. Et le ciment, c'est pas bon pour mon brushing."
LE CHAUVE : "Rien ne m'importe plus que votre brushing, ô mon Maître, vous le savez bien."
LE CHEVELU : "Mouais. Des fois je me demande si je n'aurais pas plutôt dû garder le petit bourricot basque. Lui au moins, il ne me donnait pas d'envies subites d'aller me récurer à l'eau de javel. Un sacré emmerdeur, d'accord, mais je suis sûr qu'il n'aurait pas été trop difficile de le faire passer du Côté Obscur. Après tout, il a déjà Bernès comme agent…"
[Le Chauve se met à pousser d'étranges grognements et borborygmes, et un filet de bave verdâtre coule le long de son menton, formant une petite flaque à ses pieds. Ses doigts se recroquevillent en serres et ses yeux exorbités sont injectés de sang.]
LE CHEVELU : "punaise, c'est pas vrai. À chaque fois c'est la même chose. C'est fini oui, ce cinéma ? Je t'ai déjà dit mille fois qu'il est du même bord que nous. Ça commence vraiment à me fatiguer, tes conneries…"
[Le Chauve se calme peu à peu, son expression de rage laissant place à la honte. Un petit gémissement lui échappe, puis il baisse la tête et regarde ses pieds.]
LE CHAUVE : "Pardon, ô mon Maître. Pardonnez-moi, je vous en conjure !"
LE CHEVELU : "Ça va, ça va, on oublie. Sinon, pour le reste, ça avance ? Tu en es où pour tes recherches ?"
LE CHAUVE : "J'ai plusieurs pistes très prometteuses, ô mon Maître."
LE CHEVELU : "Il y a intérêt. Cet hiver, on dégage Rémy et les frères Ayew. L'été prochain, N'Koulou et le Petit, et probablement le Gitan aussi. Il va y avoir des trous à combler."
LE CHAUVE : "Aucun problème, ô mon Maître. J'ai quelques trouvailles sous la main dont vous me direz des nouvelles."
LE CHEVELU : "Dis toujours."
LE CHAUVE : "J'ai un avant-centre de trente-trois ans qui joue à Barbentane. Il a planté vingt-deux buts en 2005. Un vrai crack, et il est né à Marseille. En plus, Christophe m'a promis qu'on pourrait le payer en tickets-restaurant."
LE CHEVELU : "Parfait. Quoi d'autre ?"
LE CHAUVE : "Un ailier polyvalent, gauche ou droit, d'à peine trente ans. Il joue à l'AS Cagnes et il est pratiquement titulaire."
LE CHEVELU : "L'AS Cannes ? On avait dit abordable, Enrique. L'OM c'est pas la BNP, bordel !"
LE CHAUVE : "Non, ô mon Maître, pas l'AS Cannes, l'AS Cagnes. Enfin pour celui-là il faudra quand même la jouer fine, il y a deux clubs de CFA 2 qui sont dessus."
LE CHEVELU : "Hmmm… Bon, on verra ça le mois prochain. J'imagine que tu finiras bien par nous trouver quelques bourricots pour faire le nombre."
LE CHAUVE : "Des joueurs à fort potentiel, vous voulez dire, ô mon Maître ?"
LE CHEVELU : "Hein ? Qu… ah, ouais ok, c'est ça, à fort potentiel. Bon, c'est pas tout ça, mais moi faut que j'y aille. Je vais avoir besoin de mes huit heures de sommeil, j'ai une journée chargée qui m'attend. Faut que je supervise personnellement l'injection de sperme de raton-laveur dans les petits fours qu'on va servir à Pierre Mondy avant le match. Après tout, c'est moi le Président. Quand je pense à tous ces abrutis qui croient que je ne glande rien… J'aimerais bien les y voir à ma place, tous ces smicards bolchévistes de bouse !"
LE CHAUVE : "Tous des ingrats, ô mon Maître…"
LE CHEVELU : "Parfaitement. Bon allez, à la prochaine mon petit Enrique. Ah oui, j'allais oublier, tu diras à Élie qu'il faut absolument que le petit Kaboré garde sa place de titulaire. C'est de l'or en barres, ce gars-là, il a un bel avenir devant lui au club. D'ailleurs, je crois bien que je vais demander à la Patronne qu'on revalorise son contrat et qu'on le bétonne jusqu'en 2020, des fois que le Barça revienne à la charge !"
[Les deux hommes se regardent une seconde ou deux, puis éclatent d'un rire fielleux. La caméra remonte lentement vers le plafond pendant que se poursuit leur fou rire. La perspective s'élève et semble traverser le plafond, puis chacun des niveaux menant à la surface, alors que s'estompent progressivement les rires. Elle émerge enfin sur le boulevard Michelet, devant le Vélodrome. En fond, presque inaudibles, les rires diaboliques persistent un moment avant de laisser place au silence. Fade out to black.]
[La caméra parcourt une série de tunnels d'égouts, balançant légèrement à gauche et à droite, la perspective étant semblable à celle d'un insecte volant passablement ivre. On aperçoit ici et là des tas d'immondices, des rats seuls ou en groupe, des articles ménagers divers et deux ou trois cadavres de journalistes. Au loin, le grondement étouffé d'une rame de métro. Une trentaine de secondes plus tard, le point de vue vire soudain sur la droite et s'engage dans une série de tunnels en pente descendante. Il fait de plus en plus sombre, et seuls quelques clapotis et bruits de grattement perturbent le silence. Quelques virages plus tard, les pentes des tunnels se font plus raides, les espaces plus étroits. On devine progressivement une source de lumière, et au sortir d'une courbe dans le tunnel, la caméra s'arrête soudain. Droit devant, une solide porte-sas qui serait à sa place sur un navire de guerre, flanquée d'une lampe à sodium sise dans un cocon de verre épais feutrant son éclat. Des bruits de voix à peine audibles proviennent de derrière la porte. Après un temps d'arrêt, fade out/fade in.
La caméra est en hauteur, stationnaire. La scène se déroule dans une vaste pièce à l'aspect résolument industriel. Vieilles machines rouillées, conduits de taille massive près des murs. Le centre de la pièce est assez dégagé, et alors que des bruits de voix augmentent progressivement de volume, la caméra s'oriente lentement vers le bas, révélant deux personnages, l'un totalement chauve et visiblement mâle, l'autre à la masse capillaire fournie et au sexe indistinct à premier abord. La perspective glisse lentement vers le bas, et l'on se rend compte que l'homme chauve porte un survêtement bleu ciel, tandis que le personnage chevelu semble porter un costume, ce qui laisse penser qu'il s'agit d'un homme. Leur conversation est désormais audible.]
LE CHEVELU : "Et il en dit quoi, Élie ?"
LE CHAUVE : "Rien, ô mon Maître. Je crois bien qu'il ne se doute de rien. Je n'ai même pas eu besoin de lui faire la moindre promesse pour le Mercato d'hiver."
LE CHEVELU : "C'est très bien, Enrique. Si tout se passe comme prévu, plus personne ne pourra te déloger du haut de l'organigramme d'ici l'été prochain. Et tu es sûr que les groupes ne vont pas se mettre à râler comme des petits bourges gauchistes ?"
LE CHAUVE : "Sûr et certain, ô mon Maître. Je vous l'ai dit : les groupes, j'en fais mon affaire. De toute manière, plus le temps passe, plus les supporters s'en foutent. Ils ont même leur propre topic chez OpiOM. Du petit lait, que je vous dis."
[La caméra est maintenant à la hauteur des visages des deux interlocuteurs, quelques mètres sur le côté. On voit que les deux hommes sont assis de part et d'autre d'un petit bureau métallique, Le Chevelu dans un confortable fauteuil en cuir, Le Chauve sur une chaise en bois décrépite. Le Chevelu semble réfléchir. Ses mains forment une petite tente, ses index appuyés contre ses lèvres, qui esquissent une moue dubitative. Après une quinzaine de secondes de silence, pendant lesquelles Le Chauve gigote nerveusement sur sa chaise, la conversation reprend.]
LE CHEVELU : "Bon. J'espère pour toi que tu dis vrai, parce que si ça tourne au vinaigre, La Patronne va nous faire tailler des costards en ciment, qu'on étrennera au fond du Vieux-Port. Et le ciment, c'est pas bon pour mon brushing."
LE CHAUVE : "Rien ne m'importe plus que votre brushing, ô mon Maître, vous le savez bien."
LE CHEVELU : "Mouais. Des fois je me demande si je n'aurais pas plutôt dû garder le petit bourricot basque. Lui au moins, il ne me donnait pas d'envies subites d'aller me récurer à l'eau de javel. Un sacré emmerdeur, d'accord, mais je suis sûr qu'il n'aurait pas été trop difficile de le faire passer du Côté Obscur. Après tout, il a déjà Bernès comme agent…"
[Le Chauve se met à pousser d'étranges grognements et borborygmes, et un filet de bave verdâtre coule le long de son menton, formant une petite flaque à ses pieds. Ses doigts se recroquevillent en serres et ses yeux exorbités sont injectés de sang.]
LE CHEVELU : "punaise, c'est pas vrai. À chaque fois c'est la même chose. C'est fini oui, ce cinéma ? Je t'ai déjà dit mille fois qu'il est du même bord que nous. Ça commence vraiment à me fatiguer, tes conneries…"
[Le Chauve se calme peu à peu, son expression de rage laissant place à la honte. Un petit gémissement lui échappe, puis il baisse la tête et regarde ses pieds.]
LE CHAUVE : "Pardon, ô mon Maître. Pardonnez-moi, je vous en conjure !"
LE CHEVELU : "Ça va, ça va, on oublie. Sinon, pour le reste, ça avance ? Tu en es où pour tes recherches ?"
LE CHAUVE : "J'ai plusieurs pistes très prometteuses, ô mon Maître."
LE CHEVELU : "Il y a intérêt. Cet hiver, on dégage Rémy et les frères Ayew. L'été prochain, N'Koulou et le Petit, et probablement le Gitan aussi. Il va y avoir des trous à combler."
LE CHAUVE : "Aucun problème, ô mon Maître. J'ai quelques trouvailles sous la main dont vous me direz des nouvelles."
LE CHEVELU : "Dis toujours."
LE CHAUVE : "J'ai un avant-centre de trente-trois ans qui joue à Barbentane. Il a planté vingt-deux buts en 2005. Un vrai crack, et il est né à Marseille. En plus, Christophe m'a promis qu'on pourrait le payer en tickets-restaurant."
LE CHEVELU : "Parfait. Quoi d'autre ?"
LE CHAUVE : "Un ailier polyvalent, gauche ou droit, d'à peine trente ans. Il joue à l'AS Cagnes et il est pratiquement titulaire."
LE CHEVELU : "L'AS Cannes ? On avait dit abordable, Enrique. L'OM c'est pas la BNP, bordel !"
LE CHAUVE : "Non, ô mon Maître, pas l'AS Cannes, l'AS Cagnes. Enfin pour celui-là il faudra quand même la jouer fine, il y a deux clubs de CFA 2 qui sont dessus."
LE CHEVELU : "Hmmm… Bon, on verra ça le mois prochain. J'imagine que tu finiras bien par nous trouver quelques bourricots pour faire le nombre."
LE CHAUVE : "Des joueurs à fort potentiel, vous voulez dire, ô mon Maître ?"
LE CHEVELU : "Hein ? Qu… ah, ouais ok, c'est ça, à fort potentiel. Bon, c'est pas tout ça, mais moi faut que j'y aille. Je vais avoir besoin de mes huit heures de sommeil, j'ai une journée chargée qui m'attend. Faut que je supervise personnellement l'injection de sperme de raton-laveur dans les petits fours qu'on va servir à Pierre Mondy avant le match. Après tout, c'est moi le Président. Quand je pense à tous ces abrutis qui croient que je ne glande rien… J'aimerais bien les y voir à ma place, tous ces smicards bolchévistes de bouse !"
LE CHAUVE : "Tous des ingrats, ô mon Maître…"
LE CHEVELU : "Parfaitement. Bon allez, à la prochaine mon petit Enrique. Ah oui, j'allais oublier, tu diras à Élie qu'il faut absolument que le petit Kaboré garde sa place de titulaire. C'est de l'or en barres, ce gars-là, il a un bel avenir devant lui au club. D'ailleurs, je crois bien que je vais demander à la Patronne qu'on revalorise son contrat et qu'on le bétonne jusqu'en 2020, des fois que le Barça revienne à la charge !"
[Les deux hommes se regardent une seconde ou deux, puis éclatent d'un rire fielleux. La caméra remonte lentement vers le plafond pendant que se poursuit leur fou rire. La perspective s'élève et semble traverser le plafond, puis chacun des niveaux menant à la surface, alors que s'estompent progressivement les rires. Elle émerge enfin sur le boulevard Michelet, devant le Vélodrome. En fond, presque inaudibles, les rires diaboliques persistent un moment avant de laisser place au silence. Fade out to black.]