14-12-2013, 20:50
Une étroite bande de goudron perdue dans la garrigue, qui n'est bientôt plus qu'un sentier terreux à peine visible à la lumière de la lune. Il fait trop froid pour les grillons en ce mois de décembre, et le silence est presque total, clairsemé de temps à autre de bruissements indistincts qui secouent les buissons environnants.
Le sentier serpente dans les collines, grimpant la plupart du temps en direction des modestes cimes que l'on devine dans la pénombre. Il débouche finalement sur une sorte de terre-plein, quelques dizaines de mètres en contrebas du sommet d'un petit mont, offrant une très belle vue sur les alentours, même de nuit. Au loin, vers l'est, la lueur d'une petite ville éclaire les strates inférieures du firmament. Hormis le 4x4 sombre garé sur le terre-plein, il s'agit de la seule indication visible d'une présence humaine.
Une ouverture béante perce le flanc de l'humble puy, et l'on peut facilement imaginer une bête de griffes et de crocs y élire domicile et y ramener ses proies ensanglantées, afin de les y dévorer sans risquer l'agacement d'une interruption. Mais une fois passé le seuil de l'orifice caverneux, l'illusion s'estompe ; le passage taillé dans la roche est trop régulier pour être l'œuvre de Mère Nature, même si l'on n'en distingue que les premiers mètres avant qu'il ne disparaisse dans l'obscurité la plus totale.
Le tunnel suit une légère courbe de gauche à droite, si bien qu'au bout d'une centaine de pas il ne serait plus possible d'apercevoir l'accès à l'extérieur, fût-ce en plein jour. En l'état, sans source de lumière artificielle, il serait impossible de s'orienter sans tâtonner le long des murs, une main après l'autre, en priant de ne pas rencontrer l'abîme en chemin. Mais d'abîme il n'y a point ; juste une lourde porte en acier au bout du passage, entièrement lisse hormis une grosse roue métallique en son centre, semblable à celle d'une écoutille de sous-marin. Au-delà, un petit sas ou vestibule qui ne semble mener nulle part, où l'on ne trouve pas le moindre objet, pas la moindre ornementation, et seul celui qui sait où il est placé serait capable d'ouvrir dans le mur de droite un panneau caché, recelant un unique bouton blanc.
Ce bouton, une fois appuyé, fait coulisser la paroi se trouvant à l'opposé de celle par laquelle on entre dans le sas, révélant un puits vertical et –lorsqu'il se trouve à ce niveau– un cube métallique dont la hauteur dépasse légèrement les deux mètres, et qui s'avère être une espèce d'ascenseur à l'aspect archaïque dont l'un des côtés, en l'occurrence celui par lequel on y entre, est entièrement ouvert. À l'intérieur, suspendu à un câble qui pend du plafond grillagé, un boîtier doté lui aussi d'un unique bouton.
Une fois le bouton activé, la cage de métal se met en branle de manière peu rassurante, et c'est dans un grincement de poulies mal huilées que la chose se met à descendre le long du puits creusé dans la roche. La descente est longue, très longue même, beaucoup trop longue pour qui serait un tant soit peu claustrophobe. Sans appareil adapté, il serait rapidement impossible de mesurer le temps écoulé ou la distance parcourue. La réalité se retrouve réduite à deux composantes propres à susciter l'angoisse : l'obscurité impénétrable des entrailles du petit mont, et les gémissements métalliques de l'engin qui s'y enfonce.
Mais admettons un instant que quelqu'un se soit aventuré à parcourir tout ce chemin, en cette nuit du 13 au 14 décembre 2013. Admettons également que cette même personne soit inaudible et invisible, et qu'au lieu de faire usage de l'inquiétant dispositif permettant la chose, elle soit arrivée au fond du puits. Voici donc ce qu'elle y verrait.
Un espace en tout point semblable à celui qui se trouve au sommet du puits, et la même porte en acier dotée d'une roue en son centre. Mais au-delà du sas, point de long passage étroit ; en lieu et place, une vaste pièce bien éclairée. Et là où l'on s'attendrait à trouver une grotte se trouve en fait ce qui ressemble à un luxueux salon, tout en bois exotique et en cuir noir. Un grand bureau laqué trône sur une petite estrade au fond de la pièce, flanqué de confortables sièges pivotants, et canapés, tables basses et fauteuils sont disposés en petites grappes ici et là. Au centre de la pièce, une grande table ronde en bois verni, autour de laquelle sont disposées six chaises Louis XVI dont l'apparence jure avec le mobilier environnant, témoignant d'un singulier manque de goût.
Un homme est vautré sur l'un des canapés, un verre à moitié plein d'un liquide ambré à la main. Il passe et repasse son autre main dans sa tignasse brune ondoyante, écoutant d'un air las celui qui est assis en face de lui dans un fauteuil, de l'autre côté d'une table basse en verre fumé. Ce dernier est complètement chauve, et plus corpulent que son interlocuteur.
« Tu veux quelque chose à boire ? » lui demande l'homme assis sur le canapé, l'interrompant en pleine phrase.
« Volontiers, ô mon maître. »
« C'est con, parce que je n'ai pas une bouteille à moins de 200 biftons ici, et si tu crois que je vais t'offrir ça, tu peux te brosser. » L'homme au brushing grimace, satisfait de l'effet de sa brimade. « Et cesse de prendre cet air de chien battu. Tu me donnes la nausée. »
« Oui, maître » lui répond l'autre, fixant le sol à ses pieds.
« Bon, on en est où sinon ? Ça se passe comment dans le vestiaire, depuis que j'ai viré l'autre pouilleux ? »
« Comme prévu, maître » réplique le chauve, après un moment de réflexion. « Les jeunes sont un peu déboussolés, mais personne n'a l'air vraiment surpris. Tant que La Chèvre et Le Soûlard seront contents, il n'y aura pas de vagues. »
« Bien. Très bien. On s'occupera de ces deux-là le moment venu. En attendant, nos pépites ont intérêt à se montrer à leur avantage. Les Rosbifs n'arrêtent pas d'envoyer des émissaires pour lorgner dessus, et si on n'est pas capables de faire le podium cette saison, il va bien falloir trouver le moyen d'amortir les dépenses de l'été dernier. »
« Vous comptez vendre en janvier, maître ? »
« Je ne sais pas. J'y réfléchis. Vu le parcours ridicule qu'on a fait en Ligue des Champions, ça va être compliqué. On a bien deux-trois valeurs sûres qui nous permettraient d'encaisser de jolis petits chèques, mais... » L'homme se passe inlassablement la main dans les cheveux, l'air songeur. Un long silence s'ensuit.
« Maître ? »
« Quoi encore ? »
« Combien de temps je vais rester sur le banc ? »
L'homme à la crinière soupire et finit son verre d'un trait. Il met la tête en arrière et fixe le plafond un long moment. L'autre ne le quitte pas des yeux, tendu comme une corde de violon.
« On verra. J'aurais jamais dû prolonger l'autre smicard. Maintenant j'ai la blondasse et ses morpions sur le dos en permanence, ça commence vraiment à me casser les coroñes. » Il soupire à nouveau. « Quitte à mettre un branleur sur le banc, autant que ce soit toi. Et au moins comme ça on ne paye pas un rond en plus. »
« Ce sera comme vous voudrez, ô mon maître » répond l'autre, visiblement déçu.
« Y a plutôt intérêt, oui. Bon, c'est pas tout ça mais j'ai quelques potes qui viennent faire un poker, donc c'est l'heure pour toi de mettre les voiles. Ah, et autre chose : on n'a pas intérêt à passer pour des dindes à Gerland, dimanche. L'autre connard s'est foutu de ma gueule toute la semaine, et je vais lui faire bouffer son iPhone, moi, au Twitteur Fou... »
« Oui, maître. »
L'homme chauve incline la tête et se lève, avant de se diriger à pas lourds vers la porte en acier et le sas d'ascenseur. L'homme sur le canapé le fixe longuement, tirant un certain plaisir de l'abattement de son sous-fifre. Lorsque la porte se referme derrière ce dernier, il se murmure à lui-même : « Ton tour viendra, pine d'huître... » Secouant la tête, il se lève à son tour et va se resservir un verre...
Le sentier serpente dans les collines, grimpant la plupart du temps en direction des modestes cimes que l'on devine dans la pénombre. Il débouche finalement sur une sorte de terre-plein, quelques dizaines de mètres en contrebas du sommet d'un petit mont, offrant une très belle vue sur les alentours, même de nuit. Au loin, vers l'est, la lueur d'une petite ville éclaire les strates inférieures du firmament. Hormis le 4x4 sombre garé sur le terre-plein, il s'agit de la seule indication visible d'une présence humaine.
Une ouverture béante perce le flanc de l'humble puy, et l'on peut facilement imaginer une bête de griffes et de crocs y élire domicile et y ramener ses proies ensanglantées, afin de les y dévorer sans risquer l'agacement d'une interruption. Mais une fois passé le seuil de l'orifice caverneux, l'illusion s'estompe ; le passage taillé dans la roche est trop régulier pour être l'œuvre de Mère Nature, même si l'on n'en distingue que les premiers mètres avant qu'il ne disparaisse dans l'obscurité la plus totale.
Le tunnel suit une légère courbe de gauche à droite, si bien qu'au bout d'une centaine de pas il ne serait plus possible d'apercevoir l'accès à l'extérieur, fût-ce en plein jour. En l'état, sans source de lumière artificielle, il serait impossible de s'orienter sans tâtonner le long des murs, une main après l'autre, en priant de ne pas rencontrer l'abîme en chemin. Mais d'abîme il n'y a point ; juste une lourde porte en acier au bout du passage, entièrement lisse hormis une grosse roue métallique en son centre, semblable à celle d'une écoutille de sous-marin. Au-delà, un petit sas ou vestibule qui ne semble mener nulle part, où l'on ne trouve pas le moindre objet, pas la moindre ornementation, et seul celui qui sait où il est placé serait capable d'ouvrir dans le mur de droite un panneau caché, recelant un unique bouton blanc.
Ce bouton, une fois appuyé, fait coulisser la paroi se trouvant à l'opposé de celle par laquelle on entre dans le sas, révélant un puits vertical et –lorsqu'il se trouve à ce niveau– un cube métallique dont la hauteur dépasse légèrement les deux mètres, et qui s'avère être une espèce d'ascenseur à l'aspect archaïque dont l'un des côtés, en l'occurrence celui par lequel on y entre, est entièrement ouvert. À l'intérieur, suspendu à un câble qui pend du plafond grillagé, un boîtier doté lui aussi d'un unique bouton.
Une fois le bouton activé, la cage de métal se met en branle de manière peu rassurante, et c'est dans un grincement de poulies mal huilées que la chose se met à descendre le long du puits creusé dans la roche. La descente est longue, très longue même, beaucoup trop longue pour qui serait un tant soit peu claustrophobe. Sans appareil adapté, il serait rapidement impossible de mesurer le temps écoulé ou la distance parcourue. La réalité se retrouve réduite à deux composantes propres à susciter l'angoisse : l'obscurité impénétrable des entrailles du petit mont, et les gémissements métalliques de l'engin qui s'y enfonce.
Mais admettons un instant que quelqu'un se soit aventuré à parcourir tout ce chemin, en cette nuit du 13 au 14 décembre 2013. Admettons également que cette même personne soit inaudible et invisible, et qu'au lieu de faire usage de l'inquiétant dispositif permettant la chose, elle soit arrivée au fond du puits. Voici donc ce qu'elle y verrait.
Un espace en tout point semblable à celui qui se trouve au sommet du puits, et la même porte en acier dotée d'une roue en son centre. Mais au-delà du sas, point de long passage étroit ; en lieu et place, une vaste pièce bien éclairée. Et là où l'on s'attendrait à trouver une grotte se trouve en fait ce qui ressemble à un luxueux salon, tout en bois exotique et en cuir noir. Un grand bureau laqué trône sur une petite estrade au fond de la pièce, flanqué de confortables sièges pivotants, et canapés, tables basses et fauteuils sont disposés en petites grappes ici et là. Au centre de la pièce, une grande table ronde en bois verni, autour de laquelle sont disposées six chaises Louis XVI dont l'apparence jure avec le mobilier environnant, témoignant d'un singulier manque de goût.
Un homme est vautré sur l'un des canapés, un verre à moitié plein d'un liquide ambré à la main. Il passe et repasse son autre main dans sa tignasse brune ondoyante, écoutant d'un air las celui qui est assis en face de lui dans un fauteuil, de l'autre côté d'une table basse en verre fumé. Ce dernier est complètement chauve, et plus corpulent que son interlocuteur.
« Tu veux quelque chose à boire ? » lui demande l'homme assis sur le canapé, l'interrompant en pleine phrase.
« Volontiers, ô mon maître. »
« C'est con, parce que je n'ai pas une bouteille à moins de 200 biftons ici, et si tu crois que je vais t'offrir ça, tu peux te brosser. » L'homme au brushing grimace, satisfait de l'effet de sa brimade. « Et cesse de prendre cet air de chien battu. Tu me donnes la nausée. »
« Oui, maître » lui répond l'autre, fixant le sol à ses pieds.
« Bon, on en est où sinon ? Ça se passe comment dans le vestiaire, depuis que j'ai viré l'autre pouilleux ? »
« Comme prévu, maître » réplique le chauve, après un moment de réflexion. « Les jeunes sont un peu déboussolés, mais personne n'a l'air vraiment surpris. Tant que La Chèvre et Le Soûlard seront contents, il n'y aura pas de vagues. »
« Bien. Très bien. On s'occupera de ces deux-là le moment venu. En attendant, nos pépites ont intérêt à se montrer à leur avantage. Les Rosbifs n'arrêtent pas d'envoyer des émissaires pour lorgner dessus, et si on n'est pas capables de faire le podium cette saison, il va bien falloir trouver le moyen d'amortir les dépenses de l'été dernier. »
« Vous comptez vendre en janvier, maître ? »
« Je ne sais pas. J'y réfléchis. Vu le parcours ridicule qu'on a fait en Ligue des Champions, ça va être compliqué. On a bien deux-trois valeurs sûres qui nous permettraient d'encaisser de jolis petits chèques, mais... » L'homme se passe inlassablement la main dans les cheveux, l'air songeur. Un long silence s'ensuit.
« Maître ? »
« Quoi encore ? »
« Combien de temps je vais rester sur le banc ? »
L'homme à la crinière soupire et finit son verre d'un trait. Il met la tête en arrière et fixe le plafond un long moment. L'autre ne le quitte pas des yeux, tendu comme une corde de violon.
« On verra. J'aurais jamais dû prolonger l'autre smicard. Maintenant j'ai la blondasse et ses morpions sur le dos en permanence, ça commence vraiment à me casser les coroñes. » Il soupire à nouveau. « Quitte à mettre un branleur sur le banc, autant que ce soit toi. Et au moins comme ça on ne paye pas un rond en plus. »
« Ce sera comme vous voudrez, ô mon maître » répond l'autre, visiblement déçu.
« Y a plutôt intérêt, oui. Bon, c'est pas tout ça mais j'ai quelques potes qui viennent faire un poker, donc c'est l'heure pour toi de mettre les voiles. Ah, et autre chose : on n'a pas intérêt à passer pour des dindes à Gerland, dimanche. L'autre connard s'est foutu de ma gueule toute la semaine, et je vais lui faire bouffer son iPhone, moi, au Twitteur Fou... »
« Oui, maître. »
L'homme chauve incline la tête et se lève, avant de se diriger à pas lourds vers la porte en acier et le sas d'ascenseur. L'homme sur le canapé le fixe longuement, tirant un certain plaisir de l'abattement de son sous-fifre. Lorsque la porte se referme derrière ce dernier, il se murmure à lui-même : « Ton tour viendra, pine d'huître... » Secouant la tête, il se lève à son tour et va se resservir un verre...